Visite de la maison d’arrêt de Tours

 

Préparation de la visite

Avant de visiter un lieu de privation de libertés comme la maison d’arrêt, il convient de s’informer. Un parlementaire peut aller partout, mais à quelles conditions ? Que faut-il observer dans une prison ? Où faut-il regarder ? Pour cela, mon équipe parlementaire a pu rencontrer des avocat.e.s et associations qui sont déjà rentrés en prison. De ces échanges a pu naître une note dense qui a nourri ma visite avant même qu’elle n’ait commencé ! Une petite citation y était intercalée, d’un romancier russe, qui est devenue célèbre par la suite, qui éclaire la pertinence de cette visite.

« On peut mesurer le degré de civilisation d’une société en visitant ses prisons ». 

Fedor Dostoïevski

 

Entrée

Samedi 14 Octobre, il est environ 10h, après avoir partagé un café dans le cadre de la Tournée Citoyenne que j’organise, je retrouve les trois journalistes qui vont m’accompagner et mon collaborateur. Nous nous dirigeons ensemble vers l’entrée de la maison d’arrêt. Un des agents nous voit sur son écran d’accueil et vient rapidement nous voir : « Que faites-vous à attendre devant la prison ? », je me présente et explique l’objet de la visite, je suis député, je peux visiter de manière inopinée les lieux de détention et de privation de libertés. Un député, ça vote les lois, mais ça contrôle aussi le gouvernement et c’est à ce titre que ce droit de visite nous est octroyé. Le surveillant revient ensuite et nous fait entrer dans une salle où il vérifie nos documents. Cartes de presse pour les journalistes et carte d’identité pour mon collaborateur. Je suis donc venu avec deux journalistes de la Nouvelle République et une journaliste de Mediapart, cela fait aussi partie des droits que j’ai, je peux ramener des journalistes lors de ces visites. C’est d’ailleurs l’un des seuls moyens pour elles et eux de rentrer en prison et de pouvoir mener leurs enquêtes. Le directeur est en chemin, un café nous est offert par les surveillants.

 

Entretien préalable

Le directeur, M. Gérard Pidoux, arrive ensuite et nous fait monter dans son bureau. L’entretien préalable durera 45 minutes environ. Dans le cadre qui régit ces visites, je suis le seul, en tant que député, à pouvoir poser des questions, mais même si rien ne l’y oblige, le directeur répond également aux questions de mon collaborateur avec lequel j’ai préparé cette visite et aux questions ponctuelles des journalistes. 45 minutes, c’est long et on a pu évoquer de nombreux points. Si je devais en retenir quelques points saillants exprimés par le directeur, ce serait ceux-ci :

– La surpopulation carcérale, alimentée par une politique pénale qui condamne beaucoup. Cela crée un taux d’occupation d’environ 210 %. Cela génère des problèmes au quotidien pour les détenus et les équipes surveillantes.

– Le bâtiment, très ancien, a besoin d’une rénovation en profondeur, notamment au niveau de l’électricité. Des travaux sont prévus en 2023, mais on part de loin.

– Parmi ces travaux, l’entrée doit être refaite pour permettre à des poids lourds de stationner dans la prison, et développer un atelier mécanique pour favoriser la réinsertion.

– Le directeur nous parle beaucoup du dispositif « surveillant-acteur », pour faire évoluer le métier de surveillant pénitentiaire.

– Une partie de la discussion tourne aussi autour des jets de projectiles de l’extérieur vers l’intérieur de la prison, ce qui crée des troubles avec le voisinage.

 

Début de la visite

Nous sommes ensuite tous rentrés dans l’enceinte de la prison. Brève rencontre avec le PC sécurité et visite des bureaux de l’administration, puis nous passons les grilles qui marquent l’entrée dans le milieu carcéral. Nous sommes alors au milieu d’une grande halle, ouverte du sol au plafond sur 3 étages, des cellules de part et d’autre. Les surveillants nous expliquent que chaque étage correspond à un type d’incarcération. Ceux qui sont jugés pour des peines courtes, ceux qui sont en attente de leur jugement, et les détenus plus vieux ou présentant des caractéristiques qui demandent une séparation avec d’autres détenus. En effet, les promenades s’organisent par étage.

Au rez-de-chaussée, nous allons dans les cuisines. La cuisine est faite par des détenus, nous échangeons quelques mots avec eux. La cuisine est correcte, les détenus nous expliquent que la cuisine n’est pas une vocation mais un moyen de lutter contre l’ennui. C’est aussi une manière pour les détenus d’avoir un emploi. Il est d’ailleurs à noter, et c’est important, que le droit du travail est enfin “rentré” en prison, c’est une réelle avancée pour la dignité et l’accès aux droits des détenus.

Nous montons ensuite au premier étage, et avant de visiter des cellules, nous visitons le département médical. Plusieurs infirmières se relaient, la présence de médecins et psychiatres s’est nettement améliorée au fil des années nous explique la direction, et est sans commune mesure avec la maison d’arrêt de Blois par exemple, avec 2 psychiatres qui viennent plusieurs fois par semaine notamment, contre un tous les 15 jours à Blois. Or, et il est important de le souligner, de nombreux détenus souffrent et ont besoin de soins psychiatriques, que ce soit dans leur vie précédant la prison, de par ce que créé l’enfermement et pour préparer au mieux la sortie.

Nous allons ensuite visiter des cellules. Si à mon arrivée, un surveillant est allé prévenir deux cellules de mon passage, j’ai également pu visiter des cellules de manière aléatoire à ma demande, sauf en quartier disciplinaire mais j’y reviendrai plus loin. Chaque cellule fait 9m2 et 2 à 3 détenus s’y « tassent ». Difficile de trouver un verbe juste pour décrire ces conditions. L’un des détenus nous le dit : « Lorsque nous sommes trois par cellule, c’est simple, il faut constamment qu’il y en ait qui reste dans son lit, et on tourne. On tient pas à 3 debout dans une cellule. Et on a pas de place pour le peu d’affaires qu’on a ».

D’abord au garde à vous lorsque je rentre dans la cellule, la prise de distance du directeur et son équipe surveillante permet de fluidifier les échanges. Lors de la visite d’une seconde cellule, un des détenus déplore vivement l’état de la prison et de certaines cellules. L’état des sols, des murs, des toilettes, parfois seulement séparés de la cellule par un brinquebalant rideau de douche tenu par une ficelle fatiguée… Tous ces détails n’en sont pas lorsque l’on vit à 2 ou 3 dans 9m2. Et la privation de la liberté d’aller et venir ne doit pas être synonyme d’indignité.

Une autre remarque d’un détenu qui m’a beaucoup marqué, c’est à propos de la télévision. Dans une des cellules, il y avait en effet une petite TV qui était allumée. Et quand je lui demandais ce qu’il regardait à la TV, le détenu, jeune, m’a répondu que « c’est pas moi qui regarde la télé, c’est elle qui me regarde. Quand j’étais sorti, je restais des heures devant la télé, même éteinte ». C’est la résignation qui domine. Mais au-delà de l’abattement et de l’anecdote, il y a aussi un vrai sujet autour de la vue. Être enfermé dans une petite cellule, c’est ne plus habituer son œil à voir loin, et lors de la préparation de ma visite à la maison d’arrêt, j’ai été alerté sur la perte de vue récurrente des détenus, un angle mort de plus des politiques carcérales.

La visite continue ensuite. Je demande à voir le quartier d’isolement, où j’ai également pu m’entretenir avec un des détenus, je n’ai pu choisir la cellule, puisque sur les trois cellules, deux étaient occupées par des éléments que l’administration jugeaient sensibles ou violents. J’ai accepté de m’entretenir et de visiter la troisième cellule pour ces raisons. Puis nous sommes allés dans le quartier des mineurs et chez les mineurs, la règle est stricte, c’est 1 détenu par cellule. Et pourtant, même si le directeur m’en assure le caractère exceptionnel, il y a 10 mineurs pour 9 cellules. C’est contraire au droit, mais dans la pratique, les autres places disponibles étaient du côté de Dijon, pas facile de maintenir un lien avec la famille ensuite. J’entends cette justification, mais je ne peux m’empêcher de penser que des mineurs n’ont rien à faire entre 4 murs et que d’autres types de condamnations doivent être trouvées.

Le temps file, nous visitons ensuite rapidement la salle de sport, la bibliothèque et la cour de promenade, toute neuve. Trop neuve presque, le gris implacable de ses hauts murs se mêlent aux nuages du jour et le mot « glauque » me vient alors en tête. Des ateliers de peinture doivent avoir lieu prochainement paraît-il, ce serait une bonne chose. De manière générale, le directeur insiste sur l’importance des activités culturelles, sportives et occupationnelles. Je partage cette préoccupation, je crois notamment beaucoup en l’insertion par le sport, et je pense qu’il faut poursuivre ces efforts pour occuper les détenus et sortir de cet ennui qui ne mène nulle part.

Je passe rapidement dans les locaux syndicaux, mais après 3 bonnes heures de visite, le temps manque. Je m’engage à prendre un temps avec les représentants syndicaux à l’avenir, ils et elles ont aussi beaucoup à dire.

Conclusion

La visite s’achève ainsi, je ressors avec mon équipe du jour en ayant vu et appris beaucoup de choses. Je tiens à remercier la direction de l’établissement pour son accueil, les surveillants pénitentiaires pour leur professionnalisme et les détenus d’avoir répondu à mes questions. Le sujet des prisons n’est pas le sujet sur lequel je travaille au quotidien, cependant en tant que député, je serai amené à voter des lois sur le sujet, et cette visite permet de m’éclairer dans mes futurs choix de vote. Je continuerai à rencontrer les différents échelons de la chaîne pénale (procureur, SPIP), les syndicats et les associations œuvrant dans le domaine dans les prochains mois. La prison est une fenêtre de la chaîne judiciaire et de la politique pénale, elle met en exergue le manque de moyens de moyens criant dédiés à la justice.

Je souhaite aussi réaffirmer ici ma volonté d’une justice plus restaurative, qui en gardant sa fermeté, privilégierait les peines alternatives. Plus on entretient des relations entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, plus le taux de récidive baissera, j’en suis convaincu. Je crois en la réinsertion, dans le fait que les personnes peuvent changer. 

L’enfermement crée davantage de récidive qu’il ne favorise la réinsertion. Être condamné à une peine, oui, être condamné à l’échec, jamais.