Fin janvier 2024. Je poursuis mon Tour de France de l’industrie réellement verte en Normandie, direction Rouen. Tout le monde connaît les images de l’usine Lubrizol en proie aux flammes en 2019 : l’incendie de l’usine de produits chimiques classée Seveso. Ni morts ni blessés mais un épais panache de fumée noire… et des molécules qui contaminent l’environnement, qui nous contaminent. 

Dans les méandres de la Seine, les usines défilent. Celles de l’industrie chimique mais aussi pharmaceutique, du raffinage, du transport et de l’agro-industrie. Dans la région, pas moins de 50 sites Seveso sont présents. Avec une telle concentration d’activité industrielle potentiellement dangereuse, le risque de pollution est phénoménal et nous arrivons avec de nombreuses questions sur les capacités et les limites du territoire à la supporter. Au programme à Rouen et au Havre : des visites d’usines, des rencontres avec des ouvriers et des habitants du territoire qui sont de véritables chevilles ouvrières de la transition !

“Ces déchets vont-ils résister à la montée des eaux ?”

A Cléon en particulier, nous visitons les 22 hectares du centre d’enfouissement de déchets dangereux Véolia Seraf. Chaque année, on traite ici 80 000 tonnes de déchets dangereux et 250 000 de déchets inertes qui sont pour la plupart des mâchefers issus des incinérateurs (des polluants hyper concentrés). Les trous se remplissent à vive allure et la direction avec laquelle nous dialoguons va déposer une demande pour agrandir le site afin d’exploiter 2 millions de tonnes supplémentaires sur 15 nouveaux hectares. L’exploitation du site actuel arrive à terme en 2030 mais avec ce nouveau projet, le traitement pourrait se poursuivre jusqu’en 2050.

Pour l’écologiste Valérie Auvray, élue à Elbeuf, que je rencontre aujourd’hui, c’est la double peine. Avec d’autres riverains, élus et habitants, elle anime le Comité de défense de l’environnement de Freneuse (Codef) : “Les territoires où se concentrent les SEVESO concentrent également les déchets toxiques. Pour éviter de les transporter car ils sont dangereux, on les enfouit à proximité des lieux de production que sont les sites industriels. L’amiante des immeubles ? On la met discrètement dans des trous, chez nous. Les filtres anti-pollution ? Dans des trous, chez nous…”, énumère-t-elle. 

“Tous les différents polluants de la région sont concentrés ici, dans notre sous-sol, placés entre des couches d’argile et déposés sur des bâches de plastique. Des bâches censées résister 80 ans à la goutte d’eau en laboratoire… mais résisteront-elles en conditions réelles à moyen et long termes ? Lorsque Véolia cessera la surveillance au-delà des 30 ans réglementaires, que deviendront ces bâches et leurs déchets ? Vont-ils résister à la montée des eaux ?”, s’alarme Valérie Auvray “C’est une aberration d’hyper-concentrer les déchets toxiques. Mais c’est pourtant cette gestion qui est devenue la norme en France. On enfouit et on oublie.”

Le Codef s’est fixé comme objectif d’alerter les pouvoirs publics et de mobiliser les habitants pour protéger les 10 hectares de terre boisée et les 5 hectares de terrain agricole qui pourraient accueillir de nouveaux trous et de nouveaux déchets à moins de 1 kilomètre du centre hospitalier intercommunal. Sans oublier les nuisances sonores et les pollutions atmosphériques des camions qui circulent toute la journée… “Nous ne voulons pas un déchet de plus chez nous, affirme Valérie Auvray, bien consciente des enjeux écologiques qui dépassent ce conflit local : “Que ce soit à Cléon ou ailleurs, dans l’état actuel de la gestion des déchets ultimes et dangereux, il va falloir trouver un autre site en 2030. Il faut moins de déchets et une filière de traitement qui ne laisse pas à la prochaine génération le soin de gérer la pollution inéluctable de nos sols et nos eaux ! »

“Ce sujet doit être porté à l’échelle nationale et européenne pour sortir du déni et s’interroger collectivement sur la gestion de ces déchets toxiques, poursuit l’élue, exactement comme pour les déchets nucléaires. Pour le moment, des entreprises font leur beurre en traitant des déchets dangereux pour les réduire et les faire disparaître. On ne peut pas faire comme si ces questions n’existaient pas et mettre une bâche dessus !”

Elle a raison ! C’est pourquoi l’enjeu d’une industrie vraiment verte, qui produirait en respectant les limites de notre planète, est fondamental… Encore un sujet sur lequel on pose trop souvent le couvercle, au risque de se brûler ! A l’échelle régionale, un débat doit avoir lieu puisque depuis 2015, les Régions produisent un plan régional (le PRPGD) pour planifier et coordonner la prévention et la gestion des déchets sur leur territoire. Son avis, comme celui de l’Etat et de la Direction régionale de l’environnement et des communes, est requis pour lancer ou non le chantier de l’extension du site Seraf à Cléon. Pour le moment, la grande majorité des communes s’y opposent et une modification du plan local d’urbanisme intercommunal sera également nécessaire pour autoriser l’extension.
Une affaire à suivre…