Depuis six nuits, j’accueille dans ma permanence parlementaire des familles qui se retrouvent sans solution d’hébergement après avoir fait appel au 115. Beaucoup le savent déjà, et c’est tant mieux ! Car ce geste de solidarité est aussi une interpellation politique.

J’aimerais vous expliquer comment j’ai pris la décision de transformer mon bureau en chambres improvisées, et ma salle de réunion, en cantine. Depuis plus de six mois, le collectif « Pas d’enfant à la rue » organise des hébergements dans des écoles et accompagnent des familles sans domicile. Vanessa, Camille, Evelyne, Anne, Roman, Cécile… Ces enseignantes et ces parents d’élèves refusent d’ignorer la réalité quotidienne de leurs élèves ou des camarades de leur enfant qui n’ont pas de maison ; une réalité dissimulée derrière la dignité de parents qui portent à bout de bras leurs enfants.

En hébergeant ces familles, le collectif les met à l’abri mais aussi interpelle et attend des pouvoirs publics des réponses adaptées. Ce collectif n’est pas une association et se refuse à l’être, estimant ne pas devoir instituer son action que ses membres considèrent comme un palliatif à l’absence de réponses satisfaisantes. Depuis une semaine, je vois ces enseignantes et parents se relayer, faire tant et tant de choses dans l’ombre, exprimer avec profondeur leur grande humanité et leur responsabilité politique au sens noble du terme.

Chapeau bas ! Leur action mérite le plus grand respect. Je veux leur exprimer mon admiration et ma reconnaissance, car chacun d’entre eux représente la France que j’aime, celle pour qui la solidarité n’est pas un signe de faiblesse, une naïveté qui conduirait à agir de façon déraisonnée, mais au contraire, un engagement fort.

Alors, comment les aider ? Lorsque leur collectif s’est fait connaître, j’ai souhaité les rencontrer. Je voulais exprimer mon soutien, sans trop savoir comment être utile en dehors des questions écrites au Gouvernement, courriers et amendements que j’ai pu rédiger. Lors de notre rendez-vous – un parmi d’autres pour le collectif qui a rencontré les parlementaires et les élus locaux – nous avons imaginé organiser une action commune à la rentrée de septembre.

Mardi 14 novembre, toujours 15 familles sans abri

Leurs actions de solidarité s’installant dans la durée, et l’indifférence revenant au galop… nous avons convenu qu’il fallait interpeller plus fort encore les pouvoirs publics, et que ma « voix de député » aurait une chance d’être entendue. Pas facile de trouver le bon moment. Le moment qui réponde à une urgence – c’est-à-dire à la nécessité de mettre à l’abri des familles sans toit après avoir eu recours au 115 – et le moment où, dans mon agenda contraint de Député, je puisse me rendre disponible durant une semaine, ainsi que mes collaborateurs, pour accueillir correctement les parents et leurs enfants sans domicile. Puis, le temps a passé. Lors d’une soirée de solidarité organisée aux casernes Beaumont le 1er octobre, j’ai rencontré à nouveau le collectif et là, j’ai pu mesurer la fatigue des bénévoles, leur dépit et leur déception à l’égard des élus en général, et moi compris. En effet, j’avais trop tardé à revenir vers eux et à proposer mon hospitalité… J’ai réalisé ce jour-là qu’il fallait accepter le caractère imprévisible du jour de l’accueil et s’y préparer dans l’urgence. C’est d’ailleurs ainsi pour ces bénévoles depuis le début de leur engagement : réagir tout de suite, se rendre disponible, participer dès que possible pour constamment faire face à l’urgence et au manque d’hébergement à Tours.

Concrètement, tous les mardis, c’est l’inquiétude : les familles appellent plusieurs fois pour savoir si des places sont disponibles (mardi 14 novembre, ce sont encore 15 familles sans solution). Pour libérer des places, une rotation est mise en place : des personnes sont remises à la rue pour que d’autres trouvent du répit durant quelques jours. Ce système n’existe pas partout en France, mais il est instauré lorsque, comme à Tours, les places manquent et l’afflux est important.

C’est ainsi que le mardi 7 novembre, trois familles se sont retrouvées sans abri suite à leur appel au 115 et ma permanence s’est alors transformée en campement, pour une semaine qui se prolonge aujourd’hui pour une seconde semaine. Les membres du collectif, mes collaborateurs parlementaires et moi, nous relayons pour dormir sur place et assurer une présence continue, notamment au moment des repas. Des membres du Parlement de circonscription contribuent à rendre cet accueil le plus chaleureux possible. L’association La table de Jeanne-Marie prépare des repas. Nous assurons les petits déjeuners et achetons le minimum nécessaire pour l’hygiène personnelle… Comme une école, ma permanence parlementaire n’est pas une lieu adapté pour accueillir des familles : deux toilettes, un évier, mais pas de douche. De l’espace, mais pas de vrais lits. Un micro-onde mais pas de cuisine pour permettre à chacun de se sentir bien. Cela doit questionner et faire réagir : cet accueil solidaire a ses limites et ne peut pas se substituer à l’accueil d’urgence.

« Un toit pour moi, c’est la loi »

La couverture médiatique fait le reste et c’est ce que nous souhaitions : ne pas en rester là, faire savoir et demander des réponses aux pouvoirs publics. Certains pensent, parfois disent publiquement, que je donne aux gens de faux espoirs… Mais ces familles, auxquelles je parle au quotidien, comprennent très bien le sens de mon accueil et la situation générale. Toutes savent que mon accueil ne peut pas s’éterniser, qu’il s’agit de sensibiliser et de demander fortement des solutions à l’Etat. Et puis malgré tout, elles trouvent un peu de répit… tout en rappelant chaque mardi le 115 dans l’attente d’une place là encore temporaire (ces familles ont d’ailleurs pour la plupart participé à la manifestation « Personne à la rue » le samedi 11 novembre). D’autres s’indignent publiquement et pensent que je devrais plutôt héberger des gens chez moi sans « me vanter »… Bien sûr, je l’ai déjà fait et continuerai de le faire comme acte de solidarité ! Aujourd’hui, il s’agit d’un acte politique. J’estime qu’être solidaire ne suffit plus : on ne peut plus se contenter de dire que « le gouvernement fait déjà beaucoup ». Non, des enfants dorment dans la rue, et ils sont toujours plus nombreux. Moi, je ne peux pas l’accepter.

A part ces critiques personnelles, m’accusant tantôt d’être opportuniste, tantôt de sortir des clous du point de vue déontologique mais n’apportant aucune réponse sur le fond du sujet, j’ai reçu de nombreux messages d’encouragements. Je remercie le Maire de Tours qui s’est rapidement manifesté ainsi que ses adjoint·es. La ville se mobilise avec les moyens dont elle dispose. A ce stade, je n’ai reçu aucun appel du Préfet ou des services du Ministre du logement Patrice Vergriete à qui j’ai écrit en ce début de semaine.

J’avoue que je suis un peu dépité.

J’espère que la médiatisation s’amplifiera et que ces réactions viendront. Les récits qui circulent remettent des visages et de l’humanité sur tous les chiffres de la pauvreté. Sans réponse, ces personnes et ces visages disparaitront de nouveau dans l’espace public, sur nos bancs, dans nos parkings et dans nos rues. Regardons-les et répondons par un « quoiqu’il en coûte » social et solidaire !