Il y a quelques jours, la Sécurité Sociale soufflait ses 79 bougies. Je nous souhaite à tous d’avoir sa forme à son âge ! Depuis 1945, c’est une idée toujours aussi neuve et vigoureuse qui fonde notre contrat social et rend sensible la promesse républicaine : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Faire le constat de son succès, c’est ouvrir la voie à son élargissement. Aussi, je veux vous parler aujourd’hui de sécurité sociale… alimentaire.

 

Cela fait longtemps que l’on assiste, comme impuissants, à la montée folle de la grande précarité. Ici, c’est une citoyenne de Tours qui se confie sur son frigo vide et ses difficultés à finir le mois. Là, c’est la difficulté des associations à lutter contre un phénomène qui grossit quand leurs moyens – au mieux – stagnent. Chacun connaît un proche qui a du mal à se nourrir tous les jours et fait des sacrifices sur la qualité de ses courses. Comment s’y résoudre, alors que la France est la 7ème puissance mondiale ?

 

Si j’emploie le mot « impuissance », c’est à dessein. Il y a quelque chose de fondamentalement violent et absurde à savoir que, dans un monde qui n’a jamais autant produit de denrées alimentaires, on y souffre autant de la faim. En France, les raisons se déclinent à l’infini, toujours sur le registre d’un néolibéralisme débridé. Multiplication des profits pour les grands groupes, mainmise de la grande distribution, dépendance aux matières premières, surproduction de produits carnés et ultra-transformés… En bout de course, le système sacrifie ceux qu’il est censé servir : les producteurs et les consommateurs.

 

Pour les producteurs, c’est le trou noir. Un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Tous les deux jours, l’un d’entre eux se suicide. Derrière ces chiffres, ce sont des vies brisées par l’endettement, par des conditions de travail impossibles et une profession qui ne paie pas. Le film Au nom de la terre donne à voir cette réalité d’une dureté sans nom. De l’autre côté de la chaîne, c’est le choix impossible entre le porte-monnaie et la santé. 37% des personnes se déclarent aujourd’hui en situation de précarité alimentaire. La malbouffe, trop souvent réduite aux pizzas et aux kebabs quand elle concerne la grande part des produits industriels, fait des ravages. Obésité, insuffisances cardiaques, hypertension… Ce bilan humain brise des vies, et d’abord celles des milieux les plus populaires.

 

Une fois que l’on a fait ce constat, que l’on s’est perdu dans ces chiffres morbides, que l’on accuse le coup d’un phénomène qui va de nos champs à nos assiettes, que faire ? Nous ne pouvons nous satisfaire de cette impuissance. Pendant des décennies, l’aide alimentaire a tâché de résorber ce phénomène, sans s’en prendre aux racines du problème. D’où cette idée, radicalement neuve malgré ses ramifications profondes : la sécurité sociale alimentaire.

 

L’idée est simple : en instaurant des caisses alimentaires cofinancées par l’Etat, les collectivités et les citoyens, chacun se voit attribuer un montant (150 euros) destiné à acheter des produits alimentaires conventionnés issus de circuits courts. C’est typiquement un dispositif vertueux qui vient soulager les ménages et les producteurs en créant un marché protecteur. Ce système, déjà expérimenté dans de nombreuses collectivités, fait ses preuves. Il permet de garantir à toutes et tous un accès universel à une alimentation choisie tout en défendant la production et le commerce de proximité. L’alimentation, qui reste généralement dans les cuisines et les salles à manger, devient alors un sujet politique dont la démocratie peut s’emparer. Comme c’était le cas, il y a bientôt 80 ans, pour la santé. Je me réjouis de voir que ce sujet de la Sécurité Sociale Alimentaire intéresse de plus en plus de monde, d’associations, de collectivités.

 

Si je vous en parle aujourd’hui, c’est parce que la Sécurité Sociale Alimentaire me paraît être au croisement des urgences écologique et sociale. A l’Assemblée nationale, j’ai déposé une proposition de loi d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation. Ce travail, issu du Parlement de Circonscription, est une étape supplémentaire vers son installation dans le paysage politique et son adoption et je me réjouis de sa signature par plusieurs collègues de chaque force du Nouveau Front Populaire. Soutenu par des collectivités, des députés éloignés même de nos rangs (je pense notamment à Sandrine Le Feur et Richard Ramos), cette Sécu du 21ème siècle peut devenir un nouveau pilier des droits. C’est en tout cas le sens de ce texte, dont vous allez vite entendre parler !