“Le travail guérit”

Fondé par Maurice et Maryse Vendre dans les années 1960, cet institut médico-pédagogique est devenu un ensemble de six usines apprenantes et inclusives dont la majorité des salariés sont porteurs de handicaps cognitifs. Ils y produisent des faisceaux pour voitures (7,5 millions par an) mais sont aussi spécialisés dans une activité de textile, seconde main, de conditionnement et d’électronique. Aujourd’hui, cette entreprise adaptée emploie 900 collaborateurs et 150 encadrants. En février 2024, je rencontre Jean-Marc Richard, président de la Fondation d’utilité publique AMIPI – Bernard Vendre, reconnue pour ses apports scientifiques, qui redonne une place dans la société aux travailleurs handicapés. Voici ce qu’il m’a expliqué.

Qu’est-ce qu’une usine apprenante ?

C’est une usine où les tâches sont transformées en apprentissage. Nous nous inspirons des travaux de neurosciences sur la plasticité́ du cerveau, sur l’importance pour l’Homme de faire avec ses mains et d’apprendre tout au long de sa vie pour s’épanouir. Les emplois manuels sont nécessaires notamment aux populations fragilisées par des handicaps, en effet, « le cerveau se fabrique en fabriquant » comme le souligne le Professeur Oughourlian, qui s’est immergé dans nos usines AMIPI. D’ailleurs ses travaux sur les neurones miroirs et les mimétismes ont éclairé toute notre action collective : n’importe quel travailleur doit démontrer d’abord et avant tout une compétence dans son domaine, mais il doit aussi faire preuve de bienveillance, d’un fort désir de transmission et de suffisamment d’empathie pour neutraliser les rivalités autour de lui.

Nos usines proposent un programme de travail qui ne vise pas seulement la productivité des unités mais le développement du cerveau des personnes, pour qu’elles apprennent de leurs erreurs et des autres, et tout simplement, pour qu’elles aiment apprendre. Ces usines à taille humaine sont par ailleurs ancrées dans leur territoire car elles ont une utilité sociale qui permet à la population de se les approprier. 

 

Qu’attendez-vous de la part des pouvoirs publics pour augmenter l’accessibilité des handicapés au monde du travail ?

Les personnes porteuses d’un handicap qui restent inactives coûtent cher à l’État, environ 30 000 euros par an. Le coût du travail est donc quatre fois moins élevé que le coût du non-travail. L’État a tout à gagner à soutenir notre modèle. Cela passe par la loi et la possibilité de contraindre les entreprises à employer des travailleurs handicapés ou à recourir à la sous-traitance d’entreprises adaptées comme les nôtres, employant des personnes handicapées (plus de 55 % des effectifs). Depuis 2005 et la loi pour l’égalité des droits et des chances, plus aucune réglementation n’a été initiée pour les y encourager… Notre modèle avec AMIPI permet également d’affronter collectivement notre devenir industriel avec une réflexion sur le sens et l’apport du travail. Le travail manufacturier a été délocalisé dans les pays où le salaire moyen mensuel (charges comprises) est en deçà des 300 euros… Pourtant, le “faire sur place” a des vertus incroyables : avec de l’huile de coude décarbonée et un peu de jus de cerveau, on peut créer des activités vertueuses sur le plan environnemental et sociétal. Ne pas privilégier le profit au détriment de l’humain dans un processus de réindustrialisation : voilà le véritable choix de société.

 

Qu’en disent les grands patrons des entreprises privées que vous rencontrez ?  

L’AMIPI en devenant une entreprise adaptée s’est mise au service de la nation et des personnes les plus fragiles. En coopérant avec nous, les entreprises privées peuvent agir dans le cadre de leur politique sociale et environnementale, finalement sans avoir à sortir du dogme d’une économie de marché. En participant à toutes sortes d’événements, je les incite à être plus engagés socialement, même si encore trop d’entrepreneurs sont formés à la culture du profit. Tous ne sont pas ce que j’appelle des humanistes qui voudraient favoriser la prospérité de toutes et tous et lutter contre l’exclusion par le travail. Mais je suis convaincue que la voie que l’AMIPI a empruntée peut parler et parle déjà aux décideurs attachés au développement des territoires, dans la perspective d’un “système industriel pour tous” duplicable partout en France. Finalement, face à la mondialisation financière, avons-nous vraiment d’autres choix ?

 

Le Professeur Oughourlian a écrit sur l’expérience AMIPI : Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société.

Une version actualisée, en français et anglais, a été rédigée avec Maryse VENDRE et Jean-Marc RICHARD en 2022.