Durant les années 1980, Romans-sur-Isère – haut lieu de la chaussure de luxe – voit ses ateliers fermer leurs portes un à un. Dans ce territoire où un habitant sur deux travaille dans la chaussure, le chômage et la pauvreté gagnent rapidement du terrain. En solidarité avec “les naufragés de la chaussure”, victimes de la mondialisation qui terrasse leur trésor industriel, la population et les pouvoirs publics se mobilisent. L’association Archer est créée en 1987 avec pour objectif d’accompagner les personnes sans-emplois à se réinsérer socialement, notamment grâce à la formation.
Une entreprise “de territoire”
“Cette mono-industrie, qui a fait la fierté de la ville, a disparu en quelques années”, se souvient Christophe Chevalier, ancien éducateur qui dirige l’association à partir de 1991. Le déclin est vertigineux : les emplois de la chaussure passent de 1400 en 1993 à moins de 200 en 2007. “Pour lutter contre les délocalisations, nous avons réalisé qu’il nous fallait par nous-même créer des activités économiques dans notre bassin de vie”, poursuit Christophe Chevalier. L’association Archer se transforme alors et devient “entreprise de territoire”. Elle ne se contente plus d’accompagner les gens vers une activité, elle reprend des entreprises qui ferment leurs portes, au gré des opportunités, pour créer de l’activité.
Avec la fermeture du dernier fleuron de l’industrie de la chaussure en 2007 – l’entreprise Charles Jourdan, référence mondiale de la chaussure féminine – c’est le déclic. Les actionnaires du groupe Archer décident d’investir pour racheter une ligne complète de montage, et partir à la recherche de compétences auprès des derniers salariés et même des anciens salariés déjà partis à la retraite.
Des chaussures “made in Drôme”
C’est au cœur de l’emblématique Cité de la chaussure, qui a ouvert ses portes en 2019 en plein centre-ville de Romans, que j’écoute le récit de Christophe Chevalier. Ce site, à la fois boutique et ateliers de fabrication ouverts au public, incarne le succès de l’aventure : “Cette Cité est devenue un bien commun : 70 salariés y travaillent au sein de plusieurs ateliers. Les entreprises y vendent des chaussures confectionnées localement. C’est la preuve que nous pouvons coopérer pour maintenir nos savoir-faire et redonner vie à notre territoire !” A l’aide d’un judicieux marketing territorial, la chaussure a repris vie à Roman. L’initiative du groupe Archer (qui est aujourd’hui pourvoyeur d’emplois pour 1000 salariés dans différents secteurs d’activités) fait boule neige puisque d’autres ateliers textiles se sont ensuite installés dans la ville, comme les Jeans 1083.
Ce projet a été possible grâce à un important soutien de l’État, par le biais d’un « contrat de site » puis du premier Pôle territorial de coopération économique (PTCE) créé en France en 2007. Entreprises, collectivités locales et partenaires locaux de l’emploi, de la formation et des services aux salariés et citoyens réfléchissent ensemble et proposent des projets pour mettre en place des solutions alternatives aux problématiques locales de l’emploi. Aujourd’hui, la pauvreté est encore importante à Romans mais comme le dit Christophe Chevalier, “en mettant la coopération et la citoyenneté au cœur des pratiques, on peut tous devenir acteur de son territoire et changer le monde!”
Thomas Huriez, fondateur de la marque de vêtements 1083. En 2014, il crée son premier atelier de confection de jeans à Romans-sur-Isère:
“Seuls 0,15 % des jeans que nous consommons en France sont fabriqués en France ! Quand les impacts sociaux économiques de nos choix de consommation sont à l’autre bout du monde, on ne s’en sent pas responsables. 1083 kilomètres, c’est le nombre de kilomètres séparant les deux villes les plus éloignées l’une de l’autre dans l’Hexagone. Avec nos Jeans, nous proposons un produit de proximité. Nous croyons que le changement passe par cette proximité qui est un facteur d’engagement universel ! C’est la clé pour reconstruire une filière du jeans en France, avec des ateliers de confection dans des régions françaises qui ont des savoir-faire. Il faut raconter ce qui se passe dans les usines, ce sont des lieux de médiation où l’on découvre de très belles histoires. Un jeans de fast fashion peut parcourir jusqu’à 65000 kilomètres… Dans la mode, nous sommes devenus alcooliques, complètement accros à la quantité. Nous avons perdu l’intérêt pour les produits de qualité.”