« Tout le monde a piqué de l’argent dans la caisse, sauf le Front national. »
Marine Le Pen, en 2004
Sommes-nous en train d’assister à la dernière phase de trumpisation de l’extrême-droite ? On assiste depuis ce midi à un souffle de populisme dans les médias et sur les réseaux sociaux. Marine Le Pen, reconnue coupable par la justice, devient par une folle inversion du réel victime d’un « gouvernement des juges ». Attention : contre une extrême-droite galvanisée, notre État de droit est notre seule digue.
L’inéligibilité de Marine Le Pen est cohérente avec ce dont elle est reconnue coupable. Ayant directement porté atteinte aux règles du jeu démocratique, comment accepterait-on qu’elle continue à y jouer ? Quand votre adversaire au Monopoly pioche allègrement dans la banque, vous passez votre tour ou vous quittez la table ? Une démocratie saine doit protéger son bon fonctionnement, à commencer par son cadre électoral qui est le garant de la souveraineté populaire. C’est ce qui nous différencie – entre autres – de régimes autoritaires comme ceux de Poutine et d’Orban, dont on notera qu’ils ont été les premiers à dire leur soutien à Marine Le Pen. Quant à l’argument qui voudrait laisser à l’électeur le soin de choisir, il est doublement inepte. D’abord, il revient à « oublier » que les juges sont une émanation du peuple français et que toute décision de justice est rendue en notre nom à tous. C’est même particulièrement le cas ici puisque les juges appliquent une loi votée par les parlementaires – ce sont eux qui ont décidé en 2016 de rendre obligatoire l’inéligibilité dans le cas d’un détournement de fonds. Ceux qui accusent aujourd’hui les juges mentent et travestissent le réel. Mais allons jusqu’au bout de la logique : s’il fallait laisser aux électeurs le soin de décider de la culpabilité de Marine Le Pen, cela reviendrait à donner à tous les candidats une immunité jusqu’aux résultats des urnes. Un tribunal vous a jugé coupable ? Courez vous présenter aux prochaines élections, vous deviendrez intouchable ! Ce raisonnement est lunaire et anti-démocratique au possible. En réalité, les règles d’inéligibilité ne remettent pas en cause la démocratie : elles la protègent.
Si l’on y réfléchit, le plus intéressant dans la décision de justice n’est pas la peine mais ce qu’elle dévoile du fonctionnement du FN/RN. Le tribunal retient l’existence d’un « système », optimisé et mis en place depuis dix ans. A quoi ressemblerait le Rassemblement national aujourd’hui s’il n’avait pas détourné ces millions d’euros du Parlement européen ? Quelle trajectoire aurait eu le parti sans ce moteur de croissance, d’influence et de propagande ? On peut d’autant plus y réfléchir que symétriquement, le procès visant Nicolas Sarkozy interroge sur les conditions de sa victoire en 2007 face à Ségolène Royal. Comment ne pas penser que le pacte de corruption noué avec Kadhafi (jusqu’à 50 millions d’euros) a eu une incidence sur le scrutin national…? C’est tout un système politique qui paraît vérolé par ces affaires et verrouillé par les mêmes personnes qui se servent à la table de l’argent public. On se gardera de rappeler que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ont tous les deux, en tant qu’élus, appelé au durcissement judiciaire et à des condamnations qui les touchent aujourd’hui. Quand on joue avec le populisme, ça revient souvent en boomerang…
Et maintenant, que faire ? Le Rassemblement national va vraisemblablement décliner à l’envi un récit complotiste et victimaire, tissé de fake-news et de polémiques. Il achèvera ainsi sa mue trumpiste et finalisera son entrée dans le moule de l’internationale réactionnaire. Pour le reste, la suite est à écrire.
Un sondage IFOP, largement relayé par le Journal du Dimanche pour les raisons que l’on devine, annonçait ce week-end une extrême droite à 45% dès le premier tour. La gauche additionnée plafonne, elle, à 25%. Deux ans avant l’élection, il faut prendre ces chiffres avec gants, pincettes, masque et tuba. Mais ils marquent l’état des forces aujourd’hui. Nous ne pouvons continuer à avancer avec une gauche sclérosée, minée en plusieurs camps. Les périls grandissent de jour en jour, et nous risquons de nous faire avaler par un monstre dont on sait comment il arrive au pouvoir, jamais comment il le quitte. Les manœuvres de Trump pour exercer un troisième mandat malgré l’interdit constitutionnel en sont une nouvelle preuve. Face à une extrême droite qui, si elle ne sera pas représentée par Marine Le Pen, aura le même visage de haine et de racisme, il nous faut retrouver très vite le chemin de l’union. Notre candidature victorieuse ou notre division défaitiste sera commune. Faisons que ce soit la première !