Cet après-midi, François Bayrou faisait sa déclaration de politique générale. Je n’étais pas à l’Assemblée : j’avais un déplacement en Nouvelle Aquitaine prévu de longue date dans le cadre de mon tour de France de l’Industrie. Après réflexion, j’ai décidé de le maintenir. Notre combat politique consiste aussi à être présents sur le terrain et là où se fabrique l’avenir. Quand le Premier ministre s’exprimait, j’étais donc en train de visiter la toute première manufacture française d’emballages en bois. Au regard de sa performance, j’ai bien fait.
Pourtant nous avons tout fait pour essayer d’arracher des changements significatifs pour la vie des Françaises et des Français. De la suspension de la réforme des retraites à une meilleure répartition des richesses en passant par le rétablissement des comptes publics via une taxation plus juste, nos propositions ne manquent pas. Elles donnaient le sens d’une bifurcation écologique, industrielle et sociale nécessaire au pays. François Bayrou a préféré tenir le discours d’un pouvoir à bout de souffle.
On y a retrouvé tous les poncifs de la macronie. Chantage à la dette. Immobilisme sur les retraites. Obsession migratoire. Dans sa déclaration, l’écologie n’est que de communication – et express : il ne lui concède qu’une minute sur une heure trente. Les autres sujets brillent par leur absence. Rien sur la justice fiscale et sociale, qui sont deux impensés de son logiciel. L’urgence démocratique est balayée via la promesse de travaux sur la proportionnelle. La réduire à cela est affligeant : rien n’apparaît pour associer les citoyens et faire respecter leurs choix, alors que c’est le nœud principal à démêler. L’urgence pour les services publics s’arrête à la mention de l’intelligence artificielle, ce qui est tout aussi désolant. Alors que les plans blancs se multiplient (son activation à Tours est en réflexion), je suis fasciné par les efforts d’imagination déployés par la macronie pour éviter tout nouvel investissement public. Ces leurres ne trompent personne. Quant aux maigres avancées par rapport au budget de Barnier (1), elles témoignent juste de l’efficacité de notre travail pour cranter des positions dans le débat public. Nous voici donc avec un pouvoir boiteux, dont la béquille change mais pas la direction. Tout occupé à refuser Matignon à la gauche et aux écologistes, le macronisme bégaye.
Depuis sa nomination, j’ai du mal à ne pas voir l’arrivée de François Bayrou, l’homme des débuts du macronisme, comme la préfiguration de sa fin. Comme une boucle qui peut se terminer dans le piétinement de la promesse initiale. Depuis sa nomination, c’est le naufrage. Dédain pour la situation catastrophique à Mayotte, snobée pour un conseil municipal. Flou total sur le cap politique. On le croyait attaché à un minimum de justice fiscale. Ses députés n’avaient-ils pas défendu un amendement de taxation des superprofits ? Lui ne s’embarrasse pas d’une telle préoccupation. On le pensait arrimé contre le cumul des mandats ? Voilà qu’il le fait revenir par la fenêtre sans qu’on ne comprenne bien pourquoi. Bref, le pouvoir court dans tous les sens, et dans leur contraire.
La seule clarté que je vois est dans le positionnement politique : François Bayrou est acquis aux idées de la droite et compte sur la bienveillance du RN pour échapper à sa censure. Ses appels à négocier avec la gauche n’étaient que de la communication et de l’enfumage. Tant pis : les mêmes causes produisant les mêmes effets, la censure suivra immanquablement. Mais je m’inquiète de ce qu’il pourra promettre à la droite et à son extrême pour rester le plus longtemps possible sur son fauteuil de papier. Surtout, la version de scrutin proportionnel qu’il est en train d’échafauder pourrait être un danger maximal pour notre pays. Le scrutin ne doit surtout pas être travesti en tapis brun au Rassemblement national, via notamment un mécanisme de prime majoritaire.
Dans ce brouillard, il est essentiel d’agir avec cohérence. La multiplication des plans sociaux dans l’industrie, le désastre humanitaire à Mayotte, les feux à Los Angeles… pointent les urgences. Celles-ci exigent l’investissement public et la planification. J’intervenais hier dans une réunion publique consacrée à l’industrie de demain, et aux adaptations nécessaires de la production industrielle. Nous avons notamment évoqué le cas des polluants éternels. Hasard du calendrier, le Monde sortait ce matin une enquête évaluant le prix de la dépollution des PFAS à l’échelle européenne : on parle de 100 milliards d’euros par an (2). Derrière ce chiffre vertigineux, il y a une réalité : les urgences écologique, sociale et sanitaire exigent de sortir du fétichisme de l’austérité. Sa déclaration ne vient que confirmer que la voie de François Bayrou est une impasse. Et le mur se rapproche.
Alors mon choix, cohérent, est de voter la censure.
(1) Je pense notamment à l’abandon des suppressions de postes d’enseignants et du déremboursement des médicaments qui étaient dans la copie de Michel Barnier.
(2) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2025/01/14/pfas-le-cout-vertigineux-de-la-depollution-de-l-europe_6496686_4355770.html