Voici plusieurs mois que je n’ai pas écrit et contribué au récit plus personnel de mon mandat, comme je l’ai fait suite à mon élection. Aujourd’hui, l’actualité est pesante, l’ambiance aussi, et je ressens le besoin de me poser et de partager à nouveau mes réflexions.
Notre société est sous tension. La capacité à débattre est abîmée, la démocratie affaiblie par tant et tant de dégradations volontaires : des 49.3 à l’Assemblée nationale aux interdictions sans limite au droit de manifester, pour ne citer que cela. Face au conflit israélo-palestionien, au sein de la Nupes, mais aussi aux situations difficiles à Mayotte ou dans le Haut-Karabakh, les débats sont brûlants, les paroles inflammables.
Qu’attend-t-on d’un député, alors, quand les divisions et la confrontation dominent ? Est-il censé avoir un avis sur tout, des éléments de langage bien préparés sur tous les sujets ? Je ne crois pas. Si mon point de vue individuel, en tant que député, est attendu, alors je me dois de prendre de la distance, de le nourrir. Cela suppose du temps, des échanges et de la recherche… Pourtant, le tempo médiatique s’emballe et oblige à prendre position toujours dans l’instant. Avec le risque, si je reste silencieux ou trop discret, qu’on me reproche de ne pas choisir mon camp !
Mon rapport aux médias
Pourtant, pour affirmer un point de vue politique, chaque député aspire à prendre la parole, raconter et, à des degrés variables, « exister médiatiquement ». Les médias sont les principaux relais de notre action, de nos idées. Ils font notre notoriété. Parler aux journalistes, c’est bien la condition pour que ma parole compte et soit entendue.
Je me souviens, en arrivant à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’impression d’être au milieu de 577 petites entreprises de communication. Pour les plus enclins à être des députés de “la ligue 1 médiatique”, il y a le fameux passage aux « Quatre colonnes », cet espace dans le Palais Bourbon où les journalistes attendent les député.es. Mais il existe aussi des rendez-vous plus informels au café ou au restaurant, avec des collectifs de journalistes. Des temps qui permettent de balayer l’actualité du député, principalement l’actualité politique. Ils sont intéressants car ils nous permettent de dérouler un propos complet et de manière posée.
J’apprécie ces séquences même s’il n’est pas facile de contrôler la façon dont nos paroles vont être retranscrites ou interprétées. Je l’ai appris à mes dépens, au début de mon mandat. A la question : « Quelles personnalités à gauche vous intéressent particulièrement ? » J’ai répondu que je ne connaissais pas François Ruffin mais que j’appréciais a priori son style. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai lu que « j’étais un fan qui allait voir sa star » à l’Assemblée nationale…
J’ai pris le temps de m’interroger sur mon image et mon propre besoin de notoriété, pour établir une ligne de conduite au cours de ce mandat. J’essaie de respecter les règles suivantes : je réponds toujours et dans les meilleurs délais aux médias locaux pour que mes actions ou mes prises de position soient connues des habitant.es de ma ville. Je réponds toujours quand je suis interrogé sur une mission ou un texte sur lequel je travaille. C’est dans ce cas grâce à mon expertise sur un sujet que j’essaie de me positionner. Ce fut le cas par exemple sur les énergies renouvelables, l’industrie, la logistique, la chasse ou encore la grippe aviaire. Des sujets sur lesquels j’ai travaillés depuis un an. Je refuse par contre les présences sur certains plateaux de télévision quand je considère que je n’ai pas de valeur ajoutée sur le sujet, ou quand la sélection d’invités me paraît polémiste et qu’on attend visiblement de moi d’être l’écolo de service.
Forcément, je ne suis pas aujourd’hui le meilleur client des chaînes d’information qui ont leurs marottes ! Je tente de mettre une certaine distance entre moi et la folie médiatique, pour ne pas me retrouver piégé par une recherche de visibilité excessive, et tomber dans le commentaire du commentaire du commentaire… Cela est également vrai sur les réseaux sociaux ! Bien qu’ils soient importants pour raconter et affirmer mon action, c’est aussi là que commentaires, affrontements, insultes, raccourcis, fake news… se succèdent, et à mon sens, abîment la qualité du débat public. Ne pas y être, c’est quasi-disparaître aujourd’hui, mais y être trop, c’est perdre le sens de la mesure.
Construisons une parole collective
Le choix des mots est pourtant important : je veux nourrir le débat public, pas l’hystériser. Je souhaite envisager la politique comme une confrontation positive des idées, pas comme un ring où seule la puissance des “petites phrases” permettrait d’imposer sa légitimité politique. Si les députés ont été élus, leur légitimité est bien friable. Ne pas vouloir le mesurer, c’est s’enfermer dans une posture dangereuse.
Je crois beaucoup que pour être un « représentant » (et redonner sens à cette représentation), mes prises de position doivent incarner une expression moins individualiste, être la chambre d’écho de ce que les gens vivent, grâce à une parole publique construite collectivement. Voilà pourquoi je continuerai à contribuer, petit à petit, à cette fameuse démocratie permanente que je cherche à faire émerger à Tours. Notre Parlement de Circonscription en est une expression.
Récemment, j’ai invité les membres de ce Parlement local à l’Assemblée nationale pour témoigner de cette expérience. Les témoignages des membres, les miennes ou celles de Marie Quinton – présidente du parlement – incarnaient et donnaient chair à notre collectif. A Tours, celles et ceux qui y participent (qu’ils soient membres d’associations, de partis ou citoyennes et citoyens) construisent cet espace de “faire ensemble”, dans une logique de rassemblement toujours plus large, de dépassement politique. En quelque sorte, ce Parlement ressemble à une sorte de “Nupes augmentée” !
En n’étant ni prisonnier ni victime des difficultés existantes entre organisations politiques, il fait pour moi œuvre utile pour l’avenir, bien que modestement. Comme une Agora Nupes au niveau national aurait permis d’encourager les échanges avec la société civile… Car c’est là que nous construisons des paroles collectives sur des sujets difficiles, en phase avec la vie des gens.
C’était le cas, par exemple, avec les émeutes de juin 2023. Alors que sous nos yeux, la violence explosait, les rapports humains se tendaient, j’ai souhaité organiser une séquence du Parlement de Circonscription pour se parler et faire collectif. Cela a pris un peu de temps, mais du temps utile ! C’est ainsi que nous pourrons, je l’espère, sortir des conflits perpétuels, en attendant une actualité plus riche et porteuse d’espoir.