Après le discours de politique générale et le vote de la motion de censure de Lecornu 2, la tentation est grande de considérer que les uns seraient du bon côté de l’Histoire et les autres non selon ce qu’ils auraient voté.

Je voudrais d’abord dire et j’y reviendrai, que voter la censure ce n’est pas, si l’on respecte l’esprit de la Constitution, voter la dissolution. Pourtant tout est fait pour entretenir le flou et la menace, alors que le camp macroniste est celui qui a le plus à craindre la dissolution. 

Je vois donc deux options : soit le Président est prêt à sacrifier son camp -que celles et ceux qui s’en revendiquent encore entendent cela-, soit c’est une menace pour faire pression sur des compromis (enfin, entendons-nous, uniquement des compromis sur la base de ses idées à lui).

Cette fois, j’ai décidé de voter la censure avec encore plus de gravité qu’à d’autres moments. Le chemin pour cette décision n’a pas été pas un chemin binaire et je souhaite partager la réflexion qui est la mienne à ce moment précis.

Je peux tout à fait me tromper et j’accepte bien volontiers la critique, pourvu qu’elle ne soit pas elle-même binaire : 

  • « c’est bien ou c’est mal »
  • « c’est une trahison »
  • ou au contraire « je vous félicite du respect indéfectible envers ce pourquoi j’ai voté pour vous »

La peur n’évite pas danger

La question que nous pouvions nous poser, nous député·es de gauche, était la suivante : devons-nous essentiellement tenir compte du risque que représentait la censure et par association la dissolution, c’est-à-dire la prophétie d’une vague brune inéluctable ou en tout cas à la probabilité suffisamment forte pour que l’on en ai suffisamment peur ?

Bien entendu, chacun était amené à s’appuyer sur le contenu d’un discours de politique générale qui aura tant tardé à arriver. Serait-il suffisamment convainquant pour acter une rupture et un accord de non-censure ? Ou au contraire serait-il une énième étape du jour sans fin, celui de l’entêtement présidentiel et du camp macroniste ?  

Ce qui n’est pas simple, c’est que dans les deux cas, il s’agit de probabilité ou de promesse. Jamais de certitude acquise. La mesure du risque dans les deux cas ne peut être exclue et donc, je me garderai de toute conclusion visant à discréditer ou magnifier ceux qui ont fait un choix ou l’autre. 

Celles et ceux qui, à gauche, ont choisi de ne pas censurer, l’ont fait (si je les ai bien compris), avec l’idée forte d’empêcher un raz de marée RN et d’éviter la perte de nombreux sièges car ils associent censure et dissolution.  Ils l’ont aussi fait un peu, là aussi je suppose, avec l’idée d’arracher des victoires significatives. Mais est-ce que l’ampleur de ces “victoires”, à l’image de la suspension de la réforme des retraites, ne serait-elle pas surestimée ? Méritent-elles de justifier une non-censure ? 

Je comprends le raisonnement qui conduit à ce choix, même si je ne le partage pas du tout. Je ne le partageais pas lors de la non censure de F. Bayrou, je ne le partage toujours pas. Mais je ne veux pas, à cet instant, le condamner au nom d’une pureté dont je me draperais, tant la situation me semble difficile et tant l’exaspération et l’inquiétude sont palpables dans le pays.

Derrière ce choix, il y a l’idée que le risque RN et la défaite de la gauche (aujourd’hui désunie) seraient garantis à court terme si une dissolution était prononcée mais le seraient moins demain, au moment d’une autre possible dissolution ou si cela tenait jusqu’en 2027. En vrai, cela mériterait d’être étayé dans les deux cas. Si l’on regarde la situation, plus le temps passe, plus le RN gagne des voix et plus la désunion à gauche s’installe. Si certains pensent que le temps inversera la tendance, ils doivent dire pourquoi et ce qu’ils comptent entreprendre pour que cela change. Force est de constater que peu de monde semble vraiment y travailler dans ce moment, et que le temps qui passe contribue à creuser le fossé. Celui-ci peut effectivement devenir infranchissable.  

Notre rôle politique est bel et bien d’empêcher la prophétie auto-réalisatrice qui semble se jouer sous nos yeux et de peser sur le cours des choses. Pas de faire seulement en fonction des risques réels ou supposés.  

Renvoyer à plus tard sans ne rien changer produira un résultat identique voire pire. Renvoyer à plus tard en laissant entendre que nous aurions plus de temps pour nous préparer, n’est entendable que si cette position s’accompagne d’engagements immédiats et sincères pour montrer la voie. Ma conviction profonde est que l’unité de la gauche et des écologistes est la seule voie possible pour éviter le RN. Assiste-t-on à un début de chemin pour re-fabriquer cette union ? Non, malheureusement c’est tout le contraire.

Et pourtant, l’unité est aussi la voie pour progresser, pour s’ajuster et pour corriger ce qui parfois peut nous séparer. Je ne parle pas là d’une unité de façade. Je parle de l’unité organisée, celle où nous structurons nos liens, nos rapports et nos débats. Si elle existait, elle nous aurait contraints à discuter et à trouver des voies communes. Malheureusement, nous n’avons rien fait collectivement ou si peu pour poser des actes fondateurs de cette organisation unitaire. Beaucoup ont préféré pratiquer le sport préféré de la division : trouver chez l’autre toutes les raisons de s’en séparer. 

Victoires ou écran de fumée ? 

Sur le choix de la non-censure enfin, il y a le sujet des victoires ou pas, du verre suffisamment plein pour pouvoir montrer qu’un autre chemin est possible. Un chemin qui indiquerait que l’on pourrait concéder à M. Lecornu d’être un homme libre, capable de se détacher un tant soit peu (durablement et structurellement) du Président de la République. 

La question est donc : est-ce que le discours de politique générale permettait de donner des signaux suffisants pour ne pas le censurer ?  

Pour le contexte : rappelons que ce discours a fait suite à un mois de discussions jusqu’à la nomination de Lecornu 1 puis la re-nomination du « moine soldat » Lecornu 2. 

Rappelons aussi que mon groupe « Écologiste et social », n’ayant pas participé aux discussions post-nomination de Lecornu 2, cela exclut de fait, tout supposé accord de non-censure de la part des Écologistes (information adressée aux esprits parfois mal renseignés sur la possible « traîtrise des Ecologistes »). Nous y avons participé avant la nomination mais avons rapidement mesuré que le compromis attendu ressemblerait davantage à une compromission.

N’oublions pas que nous demandions qu’enfin un gouvernement de gauche soit nommé et  que la charge du compromis s’inverse : que le camp macroniste (et Emmanuel Macron himself d’abord) soit dans la position qu’il adore faire jouer à tous les autres,« vous devez faire compromis sur la base de nos idées, rien que nos idées ». Lecornu 2 est in fine Macron 4 depuis juillet 2024 et même Macron 9 depuis 2017, sans que rien ne change quelque soit la situation du pays. Cet entêtement a entraîné des fractures, un chaos inédit dans le pays. Mais il a aussi décrédibilisé les institutions et les partis. Certes les partis doivent balayer devant leur porte, certes le fonctionnement des institutions mérite d’être revisité, mais Emmanuel Macron porte la double responsabilité d’avoir encore plus décrédibilisé le vote (cela ne sert à rien de voter puisqu’il fera ce qu’il veut) et celle d’avoir fait monter autant le RN dans notre pays (8 députés en 2017 ; 89 en 2022 et 140 en 2024).

C’est dans cette situation que se posait le discours de politique générale. 

Tout cela étant connu, la question était de savoir si les deux principaux éléments annoncés : la mise en pause de la réforme des retraites et le non recours au 49.3, devaient être considérés comme des victoires significatives ou suffisantes pour échapper à la censure.

Sur le non recours au 49.3 

C’est en théorie une bonne nouvelle, même si de nombreux autres outils existent pour contraindre le débat. Ainsi, l’article 38 de la loi organique relative aux lois de finances précise que la préparation des projets de lois de finances relève de l’autorité du Premier Ministre. Il n’est donc pas vrai de dire que le Parlement fera le budget. Il part d’une copie (et c’est sensiblement la même que celle de Bayrou), encore une fois nettement austéritaire. Ensuite l’article 40 de la Constitution limite le droit d’amendement et notamment la recevabilité d’amendements qui diminuent les ressources publiques. Il est aussi possible d’utiliser l’article 44-3 pour activer le vote bloqué. Dans ce cas, un seul vote serait organisé sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.

Enfin l’article 47 est une arme qui conduit à donner la possibilité au gouvernement d’avoir recours aux ordonnances pour mettre en œuvre les dispositions du projet de loi si la copie n’est pas adoptée dans un délai de 70 jours (par le Parlement donc Assemblée + Sénat).

Donc disons-le, le non recours au 49-3 oblige au débat et les amendements adoptés seraient protégés mais si et seulement on ne dépasse pas le délai des 70 jours et sous réserve de l’ensemble des autres dispositions énoncées ici. Ça va donc mieux en le disant et en ne laissant pas dire « le budget sera donc le vôtre ».

Sur la suspension de la réforme des retraites 

Il faut comprendre qu’il s’agit d’une mise en pause dont les effets ne sont pas le gel des mesures mais le décalage de leur application aux lendemains de la présidentielle. Certains crient victoire, je l’entends même si je suis bien moins enthousiaste. Ma crainte principale à ce stade c’est que la nécessité de recours à une loi indique malheureusement le risque fort que le Sénat in fine ne valide pas ce texte et que nous soyons là devant un trompe-l’œil. J’ajoute qu’elle n’est pas financée par de nouvelles recettes et le sera donc par des économies sur la sécurité sociale. Disons aussi que la borne d’âge 62 ans et 9 mois a été activée, le 1er octobre, donc il y a 15 jours…

Et nous l’avons appris, cette “suspension” passerait par la voie d’un amendement intégré dans le PLFSS (Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale) et qu’il faudra donc que ce PLFSS soit adopté dans son entièreté. Vu les mesures austéritaires qu’il comprend et qui risque fort d’être maintenues, même celles et ceux qui voulaient éviter la censure, auront du mal à soutenir ce PLFSS. Qu’en sera t-il de la suite ? 

Ces deux éléments ne sont pas, d’après moi, de nature à faire pencher la balance du côté de la non censure sauf à en être déjà un peu convaincu par avance et nous voilà revenu au premier point : celui de la stratégie face au RN, celui de la stratégie pour ne pas voir s’effondrer les groupes de gauche à l’Assemblée. Je me suis largement expliqué sur ces aspects plus haut dans ce texte.

Sur la copie du budget 2026 Lecornu

On m’a reproché de censurer a priori, avant les débats sur le budget. Je dois rappeler ici que je n’ai jamais voté un budget définitif depuis que je suis député (cela fait maintenant 3 ans). Le recours au 49.3 a effacé systématiquement nos travaux. Mais même en usant du 49 .3, les gouvernements successifs auraient pu garder dans la copie finale, des amendements de la gauche et des écologistes. Et bien ce ne fut quasiment ou très marginalement le cas. Donc, forcément la confiance n’est pas au rendez-vous du tout…

J’ajoute que le contenu que je découvre au fur et à mesure de la copie budgétaire est plus qu’inquiétant. Quelques exemples sur des sujets qui me tiennent à cœur : 

Il n’y avait pas un mot du Premier ministre sur l’écologie dans son discours, pas plus que lors de nos rencontres directes. Il n’a jamais ouvert la porte à revenir sur aucun des reculs environnementaux votés au printemps.

Le budget manque de justice fiscale : pas de taxe Zucman pourtant plébiscitée par 86% des français. Il propose certes une taxe sur les holdings mais qui exonère 95% du patrimoine que les ultra-riches cachent dans les holding (les actions, les immeubles de bureaux, les placements en faveurs des PME, de fonds d’investissements). Il acte aussi la baisse de la CVAE, c’est-à-dire une nouvelle baisse d’impôt pour les industries polluantes.

99% des français vont payer la facture de la politique de l’offre dans laquelle Emmanuel Macron s’entête. Cela se traduit par :

  • Le gel des prestations sociales (APL, AAH, allocations familiales…) et des pensions de retraites.
  • La sous-indexation des retraites (sous l’inflation) jusqu’en 2030
  • L’augmentation des franchises médicales
  • La suppression des APL pour les étudiants étrangers hors UE
  • La limitation du temps d’arrêt maladie.
  • L’imposition des indemnités journalières pour les personnes en maladie longue durée
  • Le Fonds vert de nouveau réduit, celui qui est censé soutenir les collectivités territoriales dans la réussite de la bifurcation écologique. Le 1er Ministre nous avait dit que dans son esprit, c’était aux collectivités de porter la bifurcation. Les actes sont en profondes contradictions.
  • La politique du logement voit son budget diminuer de  900 millions d’euros

Je souhaiterais aussi parler de l’Économie Sociale et Solidaire et de la vie associative. Le gouvernement propose dans sa copie un budget consacré à l’Économie Sociale et Solidaire qui passe de 19 millions à 11 millions d’euros. C’est une baisse de plus de 37 %, qui s’ajoute à celles du précédent budget. Ce secteur représente pourtant près de 14 % de l’emploi privé, 2,7 millions de salarié·es et plus de 200 000 structures ancrées dans nos territoires. Le budget consacré à la vie associative sera lui amputé de 26% !

Je pourrais égrener tout ce qui ne va pas dans cette copie, c’est-à-dire la continuité des aides économiques aux grandes entreprises sans contreparties explicites. L’Etat providence pour les entreprises continue de prospérer pendant que celui censé nous protéger s’affaiblit d’année en année.

J’ai le sentiment que ce budget va aggraver la situation des Français et des Françaises et nourrir encore plus de ressentiment et de colère. Alors je ne crois pas qu’en repoussant la censure (qui risque d’arriver dans quelques semaines), nous gagnerons un temps précieux. Je crois que tout ce qui doit faire contrainte sur Emmanuel Macron doit être mis en œuvre pour qu’il nomme enfin un premier Ministre de gauche. 

Je ne mésestime rien du risque. Mais je ne vois en rien ce qui dans les postures des uns et des autres laisse à penser que la suite sera plus réjouissante, maintenant que la censure n’a pas été votée.

Je crois que s’il y avait un engagement à reprendre le chemin de l’union de la gauche, à travailler ensemble, à ajuster nos logiques stratégiques et à débattre de nos divergences tout en cultivant nos convergences, alors oui la séquence aurait été très différente et nous aurions pu collectivement décider d’une suite plus optimiste, d’une capacité à faire front et faire face. 

Conserver l’espoir

J’ai trois souhaits pour la suite :

  • Que le Président de la République puisse faire ce pas de côté en nommant un premier Ministre issu du NFP et que tout le monde s’attèle à cette hypothèse
  • Que nombreux soient celles et ceux issu·es du peuple de gauche et écologiste à poser l’exigence de retrouver la voie du dialogue et de l’union à gauche,
  • Que même si nous imaginions une présidentielle anticipée, celle-ci ne se construise pas sur les bases actuelles à gauche, que nous refusions la loi du plus fort ou du chacun pour soi.

Je serais peut-être parmi les derniers à souhaiter cette union organisée, on m’accusera peut être de naïveté mais tant pis. Ce qui se joue est si important que je ne vois pour le moment aucune autre issue. Non, je ne me résous pas aux gauches irréconciliables. Cela finit toujours mal.