Cette rentrée politique est pavée de turbulences. Et avec la chute du gouvernement Bayrou pointent plusieurs chemins, encore dans le brouillard. À l’heure où j’écris ces lignes, j’en discerne deux – qui ne sont d’ailleurs pas contradictoires :

  • L’arrivée à Matignon d’un gouvernement dont le centre de gravité est à gauche et qui, par le compromis et la recherche de majorités, prendrait les rênes du pays.
  • La dissolution – dont on ne voit guère en quoi elle réglera l’instabilité politique. 

 

Il va sans dire que ces deux hypothèses coïncident – et ce n’est pas un hasard – avec un moment particulièrement grave. Chute du gouvernement Bayrou le 8, mobilisation nationale annoncée le 10, grève intersyndicale prévue le 18 : le mois de septembre est devenu un calendrier de l’Avent du mouvement social. Ces colères trouvent des racines plus anciennes et nous pouvons constater une forme de ras-le-bol nourri par le sentiment que rien ne change, que ce sont toujours les mêmes qui gagnent et les mêmes qui perdent gros. 

 

Notre rôle et le mien est bien sûr de soutenir l’expression de ce “ras-le-bol”, mais il est aussi et surtout de tout faire pour que cette colère déployée rencontre un débouché politique. Là doit être notre priorité et c’est le sens, je crois, du rendez-vous qui s’est tenu jeudi dernier entre une large partie de la gauche, des écologistes, de membres de la société civile, en l’absence et je le regrette de la France Insoumise et de Place Publique qui ne s’y sont pas rendus. 

 

Il s’agit maintenant de reconnaître que la défiance au sein du camp de celles et ceux qui ont fait le NFP est à son paroxysme : les divisions semblent gommer ce qui, il y a un an, permettait une convergence salutaire pour empêcher l’arrivée de Bardella à Matignon. 

 

Bien entendu, il y a des désaccords, pour l’essentiel sur la stratégie à tenir. Nous ne sommes pas tous d’accord sur le chemin à emprunter pour rompre avec les politiques libérales et la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron. 

Bien entendu, il y a eu des trahisons dans l’histoire, et des politiques estampillées « de gauche » ont sacrifié l’espoir de transformation du pays. 

Bien entendu, je n’étais pas d’accord avec le Parti Socialiste lorsqu’il a décidé de ne pas voter la censure de Bayrou. 

Bien entendu, je ne suis pas d’accord quand on pousse la détestation d’un (ancien ?) partenaire en chanson ou quand on diabolise la France Insoumise quitte à utiliser les critiques acerbes des adversaires de droite et d’extrême droite. 

Bien entendu je ne soutiens pas la tentation du cavalier seul des uns et des autres, y compris dans mon propre mouvement. 

 

Bien entendu tout cela s’entend ou se comprend. Mais… 

 

Est-ce suffisant pour mettre à terre la promesse faite aux Françaises et aux Français, il y a tout juste un an ? 

Est-ce suffisant pour croire préférable de reprendre une dose de macronisme voire, pire, de paver le chemin d’accès au pouvoir de l’extrême-droite ? 

Est-ce suffisant pour déclarer la mort du NFP ou pour considérer qu’une des forces de gauche pourrait gouverner seule ? 

 

La réponse est pour moi claire, c’est non. Rien ne me semble justifier ce fossé qui se creuse à chaque petite phrase, déclaration sans appel dans la presse ou sur les plateaux télé. Rien ne justifie qu’un an après, après un espoir fou, plus rien ne soit possible. Rien ne permet de considérer que nous pourrions gouverner seuls, avec une minorité de députés, qu’ils soient 120 ou 75, alors qu’à 195 déjà, les choses ne sont pas simples. 

 

À ceux qui proclament un peu vite la mort de l’union, je rappelle qu’ils en avaient fait de même pour la Nupes, ressuscitée en quatre jours avec le NFP. Prudence, donc, avant de mettre sous le tapis le vote de 9 millions d’électeurs. 

 

Toujours est-il que le Nouveau Front Populaire est en pause. On peut s’en émouvoir, combattre cette désunion et refuser de s’y résoudre (c’est mon cas), il convient toujours de la regarder en face.  

 

Alors moi qui défends l’union sans exclusive, qui n’admets ni les injures entre gens de gauche ni les oukases, moi qui ai obtenu des victoires permises par l’union de toutes moi qui ai construit des amitiés politiques dans chacune des familles de la gauche… 

 

J’accepte l’idée d’une mise en pause, mais pas celle d’une déclaration de mort du NFP. Cette mise sur pause intervient dans un moment où, quel que soit le chemin que l’on va emprunter, nous aurons à affronter bien des récifs – à commencer par une extrême-droite qui attend son heure. Faisons attention, nous sommes en terrain miné et à court et moyen terme, c’est l’existence de la gauche et des écologistes qui peut être menacée.

 

Pour limiter les risques sans rien sacrifier de l’avenir, je crois donc nécessaire l’adoption d’un accord minimal qui nous protégerait de l’autodestruction. Cet accord, qui serait aussi un pacte de non-agression, permettrait de concentrer nos coups sur le Rassemblement National, LR et les macronistes sans renier nos programmes ni les identités de nos partis. Face à cette menace existentielle que représente une majorité RN, nous devons privilégier la responsabilité sur l’orgueil. L’orgueil, c’est le réflexe de celui qui veut gagner seul ; la responsabilité, c’est le courage de tendre la main pour ne pas perdre tous ensemble.

 

Cet accord minimal pourrait consister, pour coller au scénario envisagé plus haut, en deux engagements : 

  • En cas de dissolution, le désistement au second tour en cas de triangulation. Il s’agit d’un pacte de survie démocratique, revenant à dire qu’entre un député socialiste, écologiste ou insoumis et un élu d’extrême droite, le choix politique est évident.
  • En cas de remaniement favorable à la gauche, il n’y aura pas de censure a priori. Je reprends ici les termes envisagés en 2024, quand Jean-Luc Mélenchon avait ouvert la porte à un « soutien du parti sans participation à un gouvernement de Lucie Castets ». Qu’est-ce qui aurait changé depuis ? 

 

Nous pouvons y arriver. Je crois utile de vous partager cette idée d’accord minimal parce que dans l’air du temps, il n’est pas évident de continuer à proclamer ce qui nous rassemble. Ce qui se passera à partir du 9 septembre n’est pas écrit mais je me méfie des ivresses qui poussent à croire que l’on peut gagner tout seul. 

 

C’est la raison d’ailleurs pour laquelle je tiens à alerter : le mythe présidentialiste, en majesté aujourd’hui à gauche, est à bout. Nous devons impérativement repenser nos manières d’envisager le pouvoir sans verser dans cette culture qui nous est fondamentalement hostile. L’obsession du « bon candidat » révèle notre incapacité collective à penser le pouvoir autrement que dans sa dimension personnalisée. Nous reproduisons les codes de la Ve République alors même que nos programmes prônent la délibération citoyenne et l’intelligence collective. Cette contradiction fragilise notre crédibilité et nous éloigne de nos propres valeurs démocratiques : nous en arrivons à perdre de vue l’essentiel. 

 

Oui j’entends bien que la Vème République ne nous laisse pas le choix que d’entrer dans “cette culture présidentielle de la présidentielle” mais je crois aussi que nous devons donner à voir ce que nous souhaitons pour redonner corps à une démocratie vivante et adaptée aux temps difficiles que nous traversons. Alors incarnons cette vision moins verticale et plus collective du pouvoir. Sinon comment pourrions-nous paraître crédible pour défendre ce changement profond. Soyons le changement que nous voulons pour le monde ! 

 

L’essentiel étant que sans mobilisation sociale ni société civile engagée à nos côtés, nous ne sommes rien. Sans capacité d’agrégation dans le pays, nous resterons confinés dans une option minoritaire. Nous devons donc tout faire pour nous ouvrir sur les corps intermédiaires, les syndicats, le monde de la culture, pour tisser sans cesse plus de liens et ne pas agir que pour les intérêts propres de nos organisations. 

 

L’an dernier, les 9 millions de voix du Nouveau Front Populaire ne nous appartenaient pas. Elles étaient celles de la société civile, des associations, des syndicats. Nous avons été débordés par un mouvement social et, comme deux rivières font un fleuve pour aller à la mer, nous avons mélangé nos couleurs et nos espoirs. Avoir abandonné cette implantation est un des gros points noirs des derniers mois. Il faut impérativement renouer avec ce travail d’unité. Si nous ne le faisons pas entre les partis, faisons-le au moins avec le peuple et ses composantes organisées. Le pouvoir qui dure est celui qui se partage. 

 

Donnons-nous rendez-vous, parlons-nous !