La société Adam est une manufacture girondine de caisses et coffrets en bois pour les propriétés viticoles. En 2022, ses dirigeants, Jean-Charles et Hélène Rinn ont cédé 25 % des titres de cette PME à une fondation actionnaire à laquelle ils comptent prochainement léguer la totalité de leur capital. Je les rencontre le mardi 14 janvier 2025, lors d’une étape particulièrement riche de mon tour de France de l’Industrie réellement verte en Nouvelle-Aquitaine. La discussion est passionnante. Outre cet engagement pour une entreprise plus égalitaire et en faveur du partage des richesses, ces entrepreneurs ont également à cœur de respecter la ressource en bois, qui est leur matière première, avec l’engagement de s’approvisionner à moins de 400 kilomètres en bois local et en pin radiata du pays basque espagnol – quand l’essentiel de ce bois provient généralement d’Australie, de Nouvelle-Zélande ou du Chili. 

La fondation actionnaire est la solution à tous ces enjeux… En tout cas, c’est celle qu’ils ont trouvé pour agir avec éthique tout en développant l’activité de l’entreprise. Répandu dans les pays du Nord de l’Europe, ce modèle permet d’utiliser les dividendes de l’entreprise pour financer des causes sociales et environnementales. L’entreprise a alors deux missions : sa mission économique et une nouvelle mission philanthropique. Les fondations actionnaires sont encore peu développées en France… On en compte 25 tout au plus, dont des ETI comme Léa Nature. Elles ouvrent pourtant une vision nouvelle de l’entrepreneuriat responsable, estime le couple, qui a fait le choix – radical – de se déposséder d’une partie et bientôt de la totalité de son capital, au profit d’un tel fonds de dotation – structure stable, pérenne et d’intérêt général et dont la gouvernance est plus collective et démocratique. Ils font ainsi  émerger un actionnariat au service du bien commun.  

Petite info : au Danemark, les entreprises détenues par 1300 fondations actionnaires représentent 1/5 de l’emploi privé, 70% de la capitalisation boursière. Leurs dons, véritable manne philanthropique, représentent 0,5% du PIB. Il est grand temps d’encourager leur essor ! 

La parole à Jean-Charles Rinn.

En 2022, vous avez cédé 25 % des titres de l’entreprise à une fondation actionnaire. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Nous cherchions un moyen de céder gratuitement la société aux employés. La loi Pacte a rendu cela possible en 2019 grâce au fonds de dotation. Contrairement aux opérations classiques de rachat ou de fusion-acquisition, il permet que les parts de l’entreprise ne soient pas vendues mais transmises gratuitement (par donation et/ou legs) à la fondation. Ainsi, celle-ci n’appartient à personne, ne peut être rachetée et son patrimoine ne peut plus revenir à ses fondateurs ou leurs héritiers. Cela peut sembler disruptif dans le monde capitaliste dans lequel nous vivons, mais en faisant ce choix et en léguant la totalité de nos parts d’ici quelques années, nous préservons les valeurs fondamentales de l’entreprise. Par ailleurs, ces opérations de rachat coûtent cher et entament la pérennité financière de l’entreprise sur le dos des salariés qui sont au cœur de sa performance économique. Notre entreprise garde ainsi intacte sa capacité financière pour investir dans le travail. Nous croyons qu’il existe d’autres modèles que le modèle néo-libéral. Au service de l’humain et de la planète.

Les fonds actionnaires ont une dimension philanthropique ? En quoi cela consiste-t-il ?

Notre fonds F.A.I.R.E (Fonds Adam pour des Initiatives Responsables et Écologiques) a en effet une mission philanthropique. Un gros mot pour moi qui suis ingénieur de formation ! Comment être philanthropique avec nos 12 millions d’euros de chiffres d’affaires et nos 70 salariés ? Nous avons travaillé sur ce point avec les acteurs locaux qui sont des partenaires essentiels : le parc naturel régional (PNR) du Médoc en particulier, pour agir ensemble sur la gestion forestière alternative au modèle productiviste du pin maritime, pour mener des actions utiles et préserver une ressource qui s’amenuise. 

Comment fonctionne la gouvernance de cette structure ?

Plusieurs collèges composent la gouvernance de cette structure : les fondateurs, les salariés, les personnalités qualifiées, et le territoire avec le PNR. La présence du parc, en tant que collectivité locale, est indispensable pour ancrer notre action localement, nous positionnant comme acteur politique. Nous sommes dans le même état d’esprit, dans une logique de développement durable pour faire émerger de nouveaux projets sur le territoire.  

Une charte d’engagement vient d’être rédigée. Elle présente les engagements sociaux, sociétaux et environnementaux d’Adam, et assure le maintien de l’activité industrielle sur le territoire, en stipulant qu’il n’est pas possible de délocaliser, ni de déménager l’activité. En outre, l’entreprise s’ouvre à la société en réalisation des actions d’éducation à l’environnement et du mécénat de compétences sur la thématique du « Faire ensemble sur le territoire ». Les salariés volontaires peuvent s’investir dans les structures du territoire via le réseau Médoc Tiers-Lieux (MTL) 4 jours par an sur leur temps de travail. 20 d’entre eux y participent. 

Cette fondation donne-t-elle une plus grande place aux salariés ? Renforce-t-elle le modèle social ?

Oui, dans le sens où la prise de décisions est partagée de façon plus démocratique. Les salariés sont également invités à participer aux projets de l’entreprise. En pratique, j’avoue que ce n’est pas si évident à mettre en œuvre et cela pour plusieurs raisons. Nous observons que le sens du collectif à tendance à disparaître, comme dans la société en général. Il est parfois difficile d’embarquer les salariés pour porter des valeurs comme la protection de l’environnement, sans un socle culturel commun. Tout le monde au sein de l’entreprise n’a pas les mêmes préoccupations dans la vie, ni les mêmes difficultés, ce qui est normal. Mais à force de discussions, on avance.

Nous sommes une vieille entreprise manufacturière où la culture du dialogue a toujours été présente, depuis 1880. Aujourd’hui, nous essayons d’être à l’écoute des personnes avec lesquelles nous travaillons tous les jours, dans un esprit d’égalité. Cela passe par le partage de la valeur, grâce à la fondation, et une limitation des écarts de salaires de 1 à 4. Nous avons mis en place des enquêtes “capital humain” qui nous permettent tous les deux ans d’interroger le personnel sur les conditions de travail, la rémunération, le sentiment d’appartenance à l’entreprise et le climat interne, l’évolution au sein de l’équipe… La restitution est collective et des cartes d’amélioration sont émises pour trouver des solutions à chaque problème. Tout n’est pas parfait et on nous a parfois reproché de faire trop de réunions ! Mais aujourd’hui, je crois que plus personne ne reviendrait en arrière.

Illustration : Titwane