Le bilan des inondations en Espagne dépasse désormais les 210 morts.
C’est un terrible bilan humain et mes pensées vont à toutes celles et ceux qui ont vécu de près ou de loin ce drame. Je pense aussi à toutes celles et ceux qui ailleurs dans le monde ont connu de telles catastrophes.
Face à la catastrophe, une question m’assaille aussi : Quelle sera la suite ? Comment éviter l’oubli qui suit immanquablement les tragédies et les font se reproduire ? Nous voyons déjà les images du drame chassées de nos écrans par d’autres actualités. Je crains ce phénomène qui nous promène sans fin par le bout des émotions, au fil d’événements sur lesquels nous n’avons plus aucune prise.
C’est là que la politique est essentielle. En faisant se confronter les idées, en transformant les actualités en objets à saisir et à inscrire dans le temps long, elle fait de nous des acteurs du monde. Prenons donc le temps de nous arrêter.
Je tiens à redire ici une évidence : les catastrophes naturelles touchent d’abord les populations et les localités les plus pauvres. Dans le cas des récentes inondations, c’est à Paiporta, commune de 25000 habitants dans la banlieue de Valence, que l’on déplore le plus de morts. Le centre-ville de Valence, lui, a continué à vivre et à consommer comme si de rien n’était ou presque.
De notre côté des Pyrénées, il y a quinze jours, c’étaient des villes populaires comme Givors et Rive-de-Gier qui étaient touchées. Ce n’est évidemment pas un hasard : on sait depuis longtemps, comme l’avait théorisé K.Marx, que les territoires périphériques concentrent les externalités négatives du développement urbain et sont les plus exposés. Pour ces villes et leurs habitants, l’absence d’écologie est punitive, jusqu’à la mort.
Pour lutter contre ces catastrophes, il est nécessaire de ne plus « aménager » le territoire mais de le « ménager ». Ces phénomènes n’ont rien de nouveau : la géographe Magali Reghezza-Zitt nous rappelle que « localement, on leur a même donné des noms : les « aiguats » du Roussillon, les « vidourlades » à Sommières (Gard) » (1). Mais depuis, le béton a dévoré les plaines et les vallées. Finies, les maisons surélevées ! Nous avons construit des maisons de plain-pied, artificialisé à tout va, créé parking et routes. Tout cela s’est fait au mépris de l’histoire des peuples et de l’environnement.
Je me souviens, en 2018, être resté bloqué sur l’A10 en raison d’une violente inondation. Je découvrais alors que l’eau retrouve toujours son lit d’origine. Nous avons trop souvent perdu ce tracé de l’eau, oublié d’où elle vient. Comment se protéger d’un phénomène devenu imprévisible ? C’est une des raisons de mon combat pour une personnalité juridique de la Loire. Dernier fleuve naturel d’Europe, il nous faut absolument préserver le patrimoine et la (re)connaissance qui l’entoure. A l’origine du Parlement de Loire, il y avait d’ailleurs une expérience artistique originale baptisée Jour inondable ! (2) Sur la base du volontariat, des tourangeaux ont été plongés pendant 24h dans les conséquences d’une inondation par l’intermédiaire d’activités ludiques. L’art peut être un puissant levier pour diminuer la vulnérabilité des personnes au dérèglement climatique en développant chez eux une culture du risque.
Si le bitume a ainsi pu servir de rampe d’accélération aux torrents de boue, c’est aussi et surtout en raison de la civilisation du tout-voiture. Celle-ci a servi d’alpha et d’oméga dans la construction de nos villes, de nos quotidiens, de nos imaginaires. Si le bilan est aussi lourd en Espagne, c’est aussi parce que la montée des eaux a surpris de nombreuses personnes qui rentraient du travail en voiture. Il y avait par ailleurs quelque chose d’absurde à voir nos écrans surchargés par ces dizaines de voitures embouties, encastrées les unes dans les autres, quand les victimes humaines restaient invisibles. L’ironie est cruelle.
Alors comment faire ? Quand on est député et que l’on aspire à gouverner, comment agir pour une meilleure prise en compte des risques, éviter ces catastrophes et avancer dans la bifurcation écologique ? Comment gérer l’eau quand celle-ci n’est plus source de vie mais de mort ? Ne rien faire comme le gouvernement actuel ?
Au moment de ces inondations, et alors que l’ONU nous alerte à nouveau sur l’insuffisance des politiques climatiques, la bifurcation écologique est toujours sacrifiée et reportée à demain. Le budget du gouvernement Barnier n’y échappe pas, c’est un peu comme un panier percé: suppression du plan Vélo, rabotage du pacte en faveur de la haie, coupes dans la rénovation thermique quand il ne s’agit pas de sanctionner les lanceurs d’alerte. .. Même le fonds pour réduire les vulnérabilités de nos territoires, auquel le premier ministre Michel Barnier a laissé son nom, est victime de la rigueur au moment où les risques augmentent significativement. Il est encore temps de ne pas détourner les yeux de Valence et de revenir sur cette décision inconséquente.
On se pince devant tant d’inconséquence. Il nous faut au contraire créer une culture du risque, et revoir de fond en comble notre modèle de développement. Parce que le sujet n’est évidemment pas celui des pratiques individuelles mais des choix faits collectivement. Contre « l’urbanocène » (3), nous devons : arrêter l’artificialisation des sols pour revégétaliser; préserver et favoriser les zones humides, essentielles pour prévenir les inondations; sortir de l’idéal pavillonnaire qui est une impasse écologique; agir pour l’égalité territoriale; ériger la biodiversité au rang des priorités; développer des moyens de protection civile à la hauteur pour protéger citoyens et lieux de vie. Ces éléments, que l’on retrouve dans le programme partagé du Nouveau Front Populaire, donnent l’horizon à suivre, sans peur du changement. Car subir reviendrait à périr.
J’ai lu que le Grand Prix MotoGP de Valence, annulé en raison des inondations, sera reporté ailleurs. Comme une métaphore de ce que nous sommes : des hamsters bloqués dans la roue. Il est temps de l’arrêter.
(2) http://lafoliekilometre.org/accueil/travaux/jour-inondable/
(3) Un concept que j’emprunte au géographe Michel Lussault