Dans la vie d’un parlementaire, il est des moments qui exigent tout particulièrement de se poser pour analyser la situation et ouvrir le champ des possibles. C’est ce à quoi je m’emploie, en couchant ici certaines lignes fortes.

 

Depuis la censure de Michel Barnier, j’ai parfois l’impression d’assister à la foire du n’importe quoi. L’allocution d’Emmanuel Macron, qui fut un grand moment d’antiparlementarisme et de mépris pour les Français, a offert un concentré de saillies irresponsables. Je le dis d’emblée : le vote d’une motion de censure n’est jamais un acte anodin. C’est un acte que l’on pose avec mesure, conscience, gravité. C’est ce que j’ai fait. 

 

Tiraillé entre les fétiches macronistes et les lignes brunes posées par Marine Le Pen, l’ex-Premier Ministre était devenu un métronome du pire. Choisissant de séduire l’extrême-droite plutôt que de composer avec le Nouveau Front Populaire, il était l’incarnation à Matignon de l’échec d’Emmanuel Macron, le miroir renversé d’un pouvoir vertical. Je me souviens de son arrivée à l’Assemblée nationale, sa promesse d’une méthode nouvelle, faite d’écoute et de compromis. La réalité, ce fut des discussions de façade et le refus de toute prise en considération des propositions du  Nouveau Front Populaire et finalement la danse du ventre vis-à-vis du Rassemblement national. En faisant de l’extrême-droite l’arbitre de la vie politique, en jonglant avec ses haines (je pense notamment à ses menaces visant l’aide médicale d’Etat), Michel Barnier aura finalement porté l’indignité à Matignon. Mais pouvait-on s’attendre à autre chose, alors que son parti avait refusé toute participation au Front Républicain ?

 

J’entends ici et là, avec beaucoup de mauvaise foi, que le vote marquerait « l’irresponsabilité » du Nouveau Front Populaire. Cette accusation ne tient pas une seconde, et je tiens à rappeler certains faits. A l’Assemblée, nous avons défendu un retour à l’équilibre budgétaire par voie d’amendements, en privilégiant le retour des recettes et en faisant porter un peu de l’effort national aux plus riches et aux grandes entreprises. En nous attaquant à ce totem d’Emmanuel Macron, nous avons donné à voir un autre horizon qui ne soit pas la sueur et les larmes mais au contraire la reconstruction des services publics et l’amélioration du quotidien des Français-e-s. Plutôt que d’opposer à notre projet une autre vision, une majorité de députés des groupes présidentiels Renaissance et Horizon ont finalement choisi le sabotage par la chaise vide, refusant d’honorer leur mandat. Ils sont revenus à la fin en disant “vous voyez c’est n’importe quoi ce budget qu’elles et ils n’ont pas voté”… Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. En discréditant les travaux de l’Assemblée et en nourrissant la stratégie du 49-3, ce sont eux qui ont joué la carte de cette situation. 

 

La copie du PLFSS (Projet de loi de financement de la sécurité sociale) qui est arrivée à l’Assemblée était un texte vide, terne, pas à la hauteur des urgences. Rien sur la crise de l’hôpital public. Rien sur les pénuries de médicaments. Des baisses de financements dans tous les sens, du transport des malades aux enjeux du grand âge. C’était une promesse d’austérité alors que l’urgence va au contraire à la reconstruction de notre système de soin. 

 

Allions-nous céder au chantage à la catastrophe entretenu par le camp macroniste et la droite ? Je repense à Mme Borne qui disait sur les plateaux télé qu’on ne pourrait plus utiliser nos cartes vitales à compter du 1er janvier. Evidemment ! Et tous les fonctionnaires seront sur le carreau dès le lendemain ! Et les hôpitaux fermeront leurs portes ! Cette manière de jouer avec les peurs, de verrouiller le débat politique en se faisant passer pour les responsables contre les artisans du chaos est irresponsable. Une énième version actualisée du « There is no alternative » thatchérien.

 

Gardons le sang froid. La situation de blocage actuelle n’est évidemment ni satisfaisante, ni matière à réjouissances, et je comprends les craintes liées à l’incertitude. Et si finalement j’ai voté la censure, c’est non seulement parce qu’il existe des solutions très concrètes pour disposer d’un budget mais aussi parce qu’un autre chemin est possible et que nous devons tout faire pour l’emprunter. 

 

D’abord, en tirant la leçon des derniers scrutins. Depuis quand la voix des Français ne donne plus le la de la politique nationale ? Notre camp n’a certes pas gagné une majorité absolue mais il est arrivé en tête des élections législatives et doit pouvoir gouverner. Rappelons-nous juin 2022 : lors d’une situation comparable, les partis présidentiels avaient gouverné alors qu’ils n’avaient qu’une majorité relative. Il n’était alors pas question pour le pouvoir de laisser une autre force politique de l’Assemblée constituer un gouvernement. C’est dans l’ordre institutionnel des choses : l’aspiration au changement qui s’est glissée dans des milliers d’urnes doit se frayer un chemin jusqu’au pouvoir. La responsabilité de constituer un gouvernement et d’essayer de rechercher des majorités pour mettre en œuvre des mesures du projet défendu devant les françaises et français revient au Nouveau Front Populaire. 

 

Mais ce qui a achoppé en juillet dernier ne doit pas être répété. Il n’y a pas de majorité absolue possible dans la composition de l’assemblée telle qu’elle a été élue en juillet 2024. D’ailleurs, il me semble dangereux de laisser entendre qu’il y a des majorités établies pour faire passer telle ou telle mesure actuellement. En disant cela, on laisse entendre qu’une alliance entre la gauche et l’extrême-droite peut être anticipée, ponctuellement, pour faire passer des textes. Attention à ne pas ancrer ce récit de possibles vues partagées entre nous et l’extrême-droite. Nos horizons sont radicalement différents, tout comme les chemins qui y mènent. Je mesure encore davantage ce péril en feuilletant la presse étrangère (un exercice souvent intéressant pour prendre du recul). Bien sûr, chacun est maître de ses voix, bien sûr quand il s’agit de dire non comme dans un vote de censure, des raisons antagonistes peuvent conduire au même vote. Mais quand il s’agit de construire des politiques, de fixer une feuille de route gouvernementale, jamais nous ne devrons compter sur des majorités construites sur un rapprochement voulu ou subi avec l’extrême-droite. A répéter que des majorités sont d’ores et déjà possibles, c’est ce récit malheureux qui risque de s’imposer, au grand bonheur des macronistes et de la droite, qui eux, ont très formellement négocié avec le RN et voudraient le faire oublier. 

 

Si la responsabilité de constituer un gouvernement est confiée à une personnalité issue du NFP, nous devrons pouvoir ouvrir des discussions pour fixer une feuille de route gouvernementale crédible qui pourra trouver des majorités texte par texte,  à commencer par une loi de finances. Et pour cela le groupe Écologiste et Social auquel j’appartiens a clairement mis sur la table des propositions concrètes pour ouvrir ces échanges. J’ai piloté avec ma collègue Clémentine Autain un travail sur cette feuille de route gouvernementale. Nous avons mis sur la table des discussions et ce dès le jour du vote de la censure, 11 propositions concrètes. Voici notre réponse : le travail sur le fond, le quoi et le comment. Si le « bloc central » (qui porte décidément mal son nom, d’abord parce qu’il n’est pas un bloc, ensuite parce qu’il n’est plus guère central) est attaché aux intérêts de la France, est-il prêt à faire des compromis ? Ces onze propositions sont une base pour trouver des compromis mais sont aussi une affirmation de nos priorités et donc le refus de toute compromission. Elles sont issues du programme du NFP et de l’analyse de la situation actuelle. Je pense à l’état des finances de notre pays, je pense à la catastrophe économique à l’œuvre et particulièrement dans l’industrie mais aussi aux effets toujours plus violents de l’absence de bifurcation écologique. Comme le dit l’écrivain Camus, dire non, c’est aussi dire oui. Et notre oui à nous, il est porteur d’une vie meilleure pour les Françaises et les Français.

 

Ensuite, nous devons nous engager à construire une nouvelle pratique du pouvoir. En gouvernant sans recourir au 49-3, en construisant des projets susceptibles de réunir même hors de nos rangs, nous pouvons imaginer et bâtir une culture politique nouvelle, respectueuse des identités et des convictions de chacun, qui soit réellement parlementariste. 

 

Cet horizon, nous devons le porter avec l’ensemble du Nouveau Front Populaire. 

Je m’inquiète d’entendre des voix pour exclure, ici la France Insoumise, là le Parti Socialiste. Je le dis à tous mes camarades : ne tombons pas dans le piège tendu par Emmanuel Macron, qui voudrait inoculer partout le poison de la division ! A mes camarades du Parti Socialiste, je redis que la posture de responsabilité ne peut et ne doit en aucun cas amener à la fracture du Nouveau Front Populaire. A mes camarades de la France Insoumise, qui poussent la musique d’une élection présidentielle anticipée, je dis attention à ne pas essentialiser la Présidentielle pour en faire l’alpha et l’oméga de notre stratégie politique. Outre que cela est contradictoire avec notre projet de VIème République et de refus de tout présidentialisme, cette obsession vient percuter de plein fouet la structure du Nouveau Front Populaire, pensé pour le quoi plus que pour le qui. Notre projet nous porte à une transformation du régime présidentiel en un véritable régime parlementaire. Soyons le changement que nous voulons incarner, battons-nous maintenant pour affirmer le parlement : “Notre Front Populaire” doit se battre pour cela ici et maintenant. 

 

Je le dis à toutes et tous, ne multiplions pas les initiatives par voie de presse, parlons-nous !

L’urgence est d’abord de faire vivre notre patrimoine commun, plus que de construire des écuries vers le pouvoir. Et j’accepte en disant cela d’être “disruptif” de ce que la 5ème nous imposerait, comme je l’entends si souvent. Nous devons jouer collectif et c’est cela qui serait un vrai changement plutôt que la répétition habituelle de la course à l’échalote de qui sera le ou la capitaine du bateau de la gauche et des écologistes. Si nous voulons que ce bateau n’échoue pas, construisons cet équipage et surtout traçons la route la plus juste pour changer la donne. 

 

Soyons vigilants, tous, à ne pas éteindre nos différences, à ne pas cranter les désaccords. L’union est le point de départ mais aussi d’arrivée. Attention à ne pas jouer les étouffoirs  sur la clameur qui s’est faite entendre en juillet, et nous a fait engranger 3 millions de voix supplémentaires. Nous nous éloignerions alors pour de bon de tout horizon de conquête du pouvoir, et ce serait dramatique.

 

Hasard du calendrier, je recevais à Tours le lendemain de la censure Lucie Castets et les députés Laurent Baumel (PS) et Hadrien Clouet (LFI). A l’heure où Emmanuel Macron donnait sa messe d’autosatisfaction et nous accusait d’être « anti-républicain », nous étions en train d’offrir une toute autre image. Dans une salle bondée, nous nous sommes retrouvés en gauche citoyenne et politique unie, rassemblée et défenseuse des services publics. Avec en bandoulière notre attachement à la démocratie parlementaire, nous portions des mesures fortes cohérentes, responsables et mieux-disantes pour tous les Français-e-s. La France n’est (heureusement !) pas que Paris, et il serait bon que chacun.es, loin des médias, n’oublie pas de faire vivre ce lien avec ce peuple de gauche qui appelle immanquablement à l’unité

 

L’actualité rend plus pressant que jamais l’exercice de la clarté. En aucun cas nous ne pouvons abîmer la confiance donnée par nos électeurs-ices. En tant qu’élu sous la bannière du Nouveau Front Populaire, je ne soutiendrai en aucun cas un gouvernement incohérent dans son projet, qui irait par exemple des Socialistes aux Républicains. En aucun cas, je ne gouvernerai avec le camp présidentiel qui a montré son sectarisme et n’a jamais assumé les dégâts de sa politique. Pour autant, si certains macronistes viennent, en sincérité, discuter et adopter notre feuille de route et s’ouvrir aux compromis, alors il nous faut pouvoir les accueillir.

 

Cette culture de l’union, elle doit être ravivée par des actes. Nous avons besoin d’un rendez-vous concret.  C’est le sens de mon appel à un Pacte de Tours. En invitant dans ma ville, berceau du rassemblement de la gauche et des écologistes et lieu d’histoire pour la gauche, les forces vives du Nouveau Front Populaire, nous pousserons la consolidation de notre engagement commun. C’est la voie du travail, du terrain, de la rencontre avec les Français pour convaincre, défendre et amender notre programme. C’est le chemin du collectif et du rassemblement que nous devons prendre. Là est le sens.