* Ce texte a été rédigé avant la publication des visuels outranciers par La France Insoumise dénonçant le prévisible non-vote de la censure des socialistes (avec lequel je suis en profond désaccord). Ces visuels comparent les socialistes aux députés du RN, visuels retirés depuis mais trop tard le mal est fait. Nous donnons là du grain à moudre à beaucoup de nos adversaires. Le respect est et doit être notre ligne commune. Ce texte n’en est donc que plus pertinent. Dans ce moment et même si cela est difficile, nous devons tenir coûte que coûte sur la nécessité de l’union. Sans exclusive.
Pour le Nouveau Front Populaire, l’heure est décisive. Parmi toutes les tensions qui le minent de l’intérieur, celles d’aujourd’hui atteignent un pic maximal. Certains voudraient faire de la censure de Bayrou une marque d’appartenance au NFP ou, au contraire, de vassalité à Emmanuel Macron. Cette manière de cranter les désaccords et de considérer les contours de notre unité est très périlleuse. Vu le contexte, cette division est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.
Je n’accepte pas plus les sentences définitives sur telle ou telle composante de la maison commune que nous essayons de bâtir, pressés par les électeurs et électrices en juillet dernier.
Je peux et je sais marquer des désaccords mais je ne veux pas rompre avec l’impérieuse nécessité de faire vivre l’espoir d’une alternative portée par la gauche et les écologistes. Même si l’inquiétude est là, quand on voit la fragilisation de cet édifice, je ne peux me résoudre à me détourner de cet appel si clair à l’union de tant d’électeurs et électrices, lors des dernières échéances électorales.
Pour ma part, après une sincère hésitation, j’ai fait le choix de la censure. Par cohérence.
D’abord, parce que le budget Bayrou n’est pas mieux-disant par rapport à celui de Barnier – c’est le contraire. L’écologie, l’Éducation nationale, la cohésion sociale, la culture, les auto-entrepreneurs… C’est une bérézina budgétaire qui s’annonce. Les attaques pleuvent. On peine même à voir quel segment de la société n’est pas atteint par ses coupes ravageuses – peut-être les anciens Premiers ministres et les ex-Présidents, qui conserveront leurs avantages.
Mais ma censure vise aussi tout l’arrière-plan qui se dessine dans le projet de François Bayrou. Une proposition de loi de grand retour en arrière sur les pesticides et néonicotinoïdes portée par des sénateurs de la majorité LR – Modem (Les Républicains sont déclarés dans la majorité gouvernementale), la réduction de l’ambition de justice fiscale, l’utilisation de concepts appartenant à l’univers sémantique et mental du Rassemblement National et la disparition de toute résistance à sa marche vers le pouvoir…Les désaccords sont profonds et, lorsque viendra le moment de mesurer les effets de ce budget et des politiques qui sont conduites, la chute sera sévère.
Je n’ai pas non plus voulu céder à la pression mise sur chaque député par le gouvernement. On peut même parler de chantage. Les coups de pression se multiplient. Ici, c’est Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la Ville, qui conditionne le maintien des adultes-relais à l’adoption du budget. Là, c’est le gel des services civiques jusqu’au vote du budget – les associations ont été prévenues 48 heures avant la suspension des contrats. Quel cynisme ! Cette manière de forcer la main des parlementaires via des mesures de rétorsion qui n’ont pas lieu d’être est inadmissible. Une manière de faire peser le 49-3 sur le pays tout entier, et plus seulement l’Assemblée nationale. Elle frappe de plein fouet les Françaises et les Français, les maires de nos circonscriptions, les élus locaux. Comment ne pas entendre leur détresse quand ils nous relaient leurs craintes et leur désarroi ? On sait qu’elle sera la même dans quelques mois, quand ils subiront la violence du budget. Mais d’ici-là, la pression joue à plein.
Mon hésitation quant au vote de la censure n’était donc pas liée à cet appel à la “responsabilité et la stabilité” de celles et ceux qui ont construit la crise dans laquelle nous nous trouvons, mais elle est venue des interrogations des habitant.es dans ma circonscription. Ils étaient les premières personnes ciblées par cette pression qui me revient, grossie d’inquiétude, sur la nécessité d’une illusoire « stabilité ». Plus d’adultes-relais, plus d’emplois-aidés, plus de services civiques, un affaiblissement du déjà précaire statut d’auto-entrepreneur, des moyens qui manqueront pour la culture, l’éducation, le sport… Je ne suis pas sourd à cela, bien au contraire. La censure était le moyen de dire combien je pense cela injuste et combien la situation actuelle renforce l’instabilité. Nous verrons dans les mois à venir que malheureusement cette stabilité ne sera pas, notamment avec ce budget qui fera mal.
Cette raison, couplée à la conviction d’avoir arraché des “compromis”, peut avoir convaincu certains de mes camarades socialistes de ne pas voter la censure. Je pense qu’ils se trompent profondément et que lorsque chacun.e mesurera les conséquences de ce budget, l’incohérence de cette position sera mesurable.
Cette pression m’a poussé, au contraire, à voter la censure. Je crois que si nous cédons à ce type de chantage, si nous avalisons “par défaut” un budget toujours plus régressif, notre parole ne signifiera plus rien lorsque viendra l’heure de défendre notre programme de rupture.
Mais ce choix fait en conscience, je refuse d’en faire un critère d’appartenance au Nouveau Front Populaire. Le Nouveau Front Populaire est un commun de la gauche et des écologistes. Il n’appartient à aucun parti mais aux électeurs qui se sont déplacés l’été dernier pour élire 192 députés. Dès lors, personne ne peut émettre des avis d’exclusion, dans un sens ou dans l’autre. Personne ne peut seul se prévaloir de la légitimité de ces 7 millions de suffrages au second tour. Cette légitimité appartient tellement à tout le monde qu’elle n’appartient à personne.
Entendre se rejouer le mythe des deux gauches présumées “irréconciliables”, c’est voir se rejouer un duel factice qui nous a trop longtemps entraînés sur les rives de la défaite. C’est gommer les différences, parfois au sein même des partis. Que faire, alors de la fédération socialiste de Seine-Saint-Denis qui a appelé, à l’unanimité, à la censure ? Que faire également d’une censure différée des socialistes, par exemple pour le PLFSS ?
Les forces politiques du NFP ne sont pas des mégalithes incapables de bougés. Le cadre de l’union incarne au contraire le respect du pluralisme et des identités partisanes tant qu’est respecté le programme de rupture. Si la destination est commune, les voies pour y parvenir peuvent être diverses. Cranter des désaccords, employer le langage de la soustraction plutôt que celui de l’addition, c’est s’affaiblir collectivement.
Notre échec à l’occasion de deux suffrages récents, en Isère avec le candidat insoumis Lyes Louffok et à Villeneuve-Saint-Georges avec la tête de liste insoumise Louis Boyard, ont donné à voir la fragilité de notre camp. Aucun de nos partis ne peut gagner en restant seul.
L’urgence aujourd’hui, n’est pas à élever des barrières. L’union est une culture qui se travaille par les actes et les avancées communes. De grands chantiers attendent notre force politique. L’actualisation de notre programme 2024 et de notre contre-budget, la mise en place de formes concrètes d’engagement pour les militants, de campagnes communes… Nous avons un travail de fond à réaliser d’ici les prochaines échéances, précipitées ou non.
Loin de l’image que l’on peut avoir, un brin fantasmée, du Front populaire de 1935, il faut savoir que de nombreux désaccords maillaient la coalition. Le programme, modéré et ambigu, ne ravissait pas vraiment les socialistes de l’époque, bien plus étatistes que les radicaux. Ils ont pourtant dû s’incliner, poussés par les communistes pour qui la modération assurait le ralliement des classes moyennes. Lors de la campagne législative, chaque parti défendait même son propre programme, qui n’était pas toujours compatible avec celui du Front populaire. Quitte à reprendre leur nom, n’oublions pas cette histoire.
Parce qu’à la fin, ils ont gagné.
Enfin, je le dis souvent, la France n’est pas seulement ce qui se passe à l’Assemblée nationale ou autour, pas plus que le Nouveau Front Populaire n’est que le miroir des expressions des députés et représentants des partis. La France, c’est aussi ce qui se passe à Tours ou dans ces territoires où nous faisons mieux collectivement. C’est aussi ce qui se passait encore ce samedi à La Riche (37), quand à l’invitation du Parti Communiste Français, l’ensemble des forces politiques du NFP et des forces citoyennes étaient là, ensemble, pour parler de la paix, pour redire comme le disait Jean Jaurès, que la paix est un projet politique. Nous avons dit à l’unisson et teinté de nos singularités que ce projet politique pour la paix a comme déterminants : la construction d’une sécurité sociale et d’une sécurité écologique durable pour toutes et tous ! C’est et ce doit être notre obsession : être les architectes de ce projet.