La scène politique ressemble parfois à un bal des horreurs. C’est le cas depuis la catastrophe du passage du cyclone Chido à Mayotte. Alors que les corps étaient encore sous les décombres et les habitants dans un dénuement total, les déclarations du pouvoir rivalisent d’indignité. Bruno Retailleau agite le « contrôle de l’immigration« . Emmanuel Macron se la joue OSS 117 en expliquant à une Mahoraise sinistrée que « si ce n’était pas la France, vous seriez 10.000 fois plus dans la merde« . François Bayrou préfère quant à lui délaisser le département sinistré pour se rendre au conseil municipal de Pau… On parle de peut-être des milliers de morts, mais eux déroulent leur agenda condescendant, opportuniste et aux relents xénophobes.
Je vois dans ces réactions une illustration frappante du malheur qui touche l’île depuis des décennies, plus insidieusement mais peut-être pas moins violemment que le cyclone : l’indifférence.
Il y a l’indifférence de ce dont on ne parle pas ou peu, de ce qui est loin. Loin des yeux et loin du cœur dit-on. Moi-même je dois le dire, avant d’être député, de côtoyer et d’écouter mes collègues mahorais, je n’avais pas souvent tourné le regard vers ce bout de France.
Mais il y a aussi l’indifférence politique qui joue à plein quand l’État investit deux fois moins pour un enfant Mahorais que pour un enfant métropolitain. Quand on établit à Mayotte une justice d’exception où l’Aide médicale d’Etat n’existe pas et où le code du travail n’existe que depuis 2018. Quand 30% des Mahorais et des Mahoraises ne sont pas raccordés à l’eau et qu’il faut parfois bouillir l’eau du robinet pour la boire.
Cette indifférence est organisée. Pile, c’est l’austérité budgétaire qui mène à la liquidation des budgets et à la tétanie des investissements publics. Face, c’est le tout-sécuritaire qui criminalise l’immigration et précipite vers la misère. On le sait peu mais le bras de mer qui sépare les Comores de Mayotte est l’un des plus grands cimetières marins du monde (depuis 1995, on compte plus de 10.000 morts). Très concrètement, cela donne un archipel complètement exsangue, recouvert de bangas, ces habitats en tôles qui composent les bidonvilles sur des terrains instables. Ce sont ces cases qui ont été le plus violemment balayées par le cyclone mais aussi et surtout des êtres humains emportés, des morts et des blessés, des familles endeuillées. Macron a beau s’exclamer en surjouant l’indignation « c’est pas moi, le cyclone », il incarne, lui, un autre cataclysme.
Je sais que la situation à Mayotte est complexe, appelle mesure et justesse. L’enjeu géopolitique, déjà, y prend tellement de place ! Il faut mesurer que notre souveraineté sur Mayotte ne va pas forcément de soi. Les Comores revendiquent toujours la souveraineté sur l’archipel depuis l’indépendance en 1975, et son président vient même de proclamer une semaine de deuil national. Il n’y a qu’à regarder une carte pour voir comment Mayotte est un bout des Comores et qu’il est impossible de nier ce lien. Celles et ceux des comoriens qui veulent vivre à Mayotte le font souvent parce qu’ils y ont une attache familiale.
Rappelons-nous que la France a acheté Mayotte le 25 avril 1841 au sultan d’origine malgache Andriantsouli. La France cherche alors à conquérir Madagascar. De 1886 à 1892, la France établit son protectorat sur les trois autres îles des Comores, l’archipel étant placé sous l’autorité du gouverneur de Mayotte. Au terme du processus d’indépendance, en 1974, les habitants de Mayotte se sont prononcés majoritairement en faveur de leur rattachement à la France. Depuis, l’archipel est devenu un département, le 101ème de notre pays. C’est toujours le choix des peuples à disposer d’eux-même qui prime.
Rappelons-nous toutefois que l’ONU a condamné plus d’une vingtaine de fois notre pays pour cette présence, illégale au regard du droit international. Il faut préciser que la France y trouve tout de même quelques avantages, à commencer par la zone économique exclusive de Mayotte. Elle est un lieu de prospection précieux pour les ressources de l’océan Indien, et offre une fenêtre militaire stratégique sur le canal du Mozambique.
Je ne vais pas trouver, d’un trait de plume, une résolution à toutes les crises que le département traverse. Mais face à la catastrophe et à la ruine, notre résolution doit être totale et aux antipodes des obsessions macronistes. Dans ce département où la population a doublé en 25 ans et où la misère absolue fait des ravages, aujourd’hui encore plus qu’hier, l’Etat ne peut être aux abonnés absents. Le pouvoir ne peut pas continuer à être indifférent au sort de ses habitants, venant périodiquement se mettre en scène en gonflant les muscles en temps de crises. Il faut débloquer des fonds pérennes et garantis sur le long terme. Nouer de nouveaux accords de développement avec les Comores. Construire des services sociaux, des hôpitaux, des logements en dur, des écoles. Répondre à une urgence qui, si elle est aujourd’hui humanitaire, restera demain structurelle. Il nous faut avancer avec le fil de l’égalité, réaffirmer le droit du sol comme partout en République française. Ce n’est pas avec la désinvolture de M. Bayrou ou avec les outrances de M. Macron que l’on sortira de ce cycle infernal de violences et de misère. J’ai appris que les distributions alimentaires étaient réservées, parfois, aux personnes dotées d’une pièce d’identité. Comment pouvons-nous tolérer une telle inhumanité ? C’est avec cette logique qu’il faut rompre, avec détermination.
Les images de destruction m’ont fait penser aux inondations qui ont touché l’Espagne il y a quelques semaines. Le cyclone qui a touché la France est né de conditions accélérées par le réchauffement climatique (notamment l’augmentation de la température de surface des eaux). Oui, il y avait des cyclones avant le réchauffement climatique. Mais la fréquence et l’intensité rappelle que nous sommes entrés dans un période de fortes perturbations. Et dans cette situation, nous mesurons l’absence de mesures d’adaptation, dans ce territoire aux vulnérabilités connues. Anticiper la crise, c’est agir sur les causes et sur les réponses apportées aux phénomènes extrêmes comme celui-ci. Sans développer la culture du risque chez les habitants, sans développer des pouvoirs publics forts pour freiner et endiguer leurs effets, nous resterons coincés dans ce cycle de catastrophes comme un hamster dans sa roue. Je note à cet égard que la promesse faite par Emmanuel Macron d’une loi pour la prévention des risques majeurs en outre-mer est restée lettre morte.
Dans la période, j’apporte tout mon soutien et mes pensées aux Mahorais, aux Mahoraises et à leurs voisins, habitants et habitantes des Comores et du Mozambique, aussi touchés (dans une moindre mesure) mais un peu oubliés des commentateurs. Je m’associerai pleinement à l’Assemblée à toutes les initiatives pour débloquer des moyens à la hauteur de la tâche que nous devons, collectivement, mener. Anticiper, c’est agir dès maintenant. Comme le dit le proverbe mahorais : « Un voyage prévu pour demain se prépare aujourd’hui. »