La nomination de Michel Barnier à Matignon me laisse un goût amer. Après la montagne d’énergie déployée pendant la campagne, un Front Républicain qui a joué à plein à gauche, un vote qui nous a hissés en tête à l’Assemblée, l’union derrière Lucie Castets… nous voici avec comme premier ministre une personnalité du camp arrivé 4ème, qui a refusé d’appeler au Front Républicain et lance déjà des appels de pied au RN (1). Mais c’est aussi, un coup porté au combat que je mène depuis que j’exerce des responsabilités d’élu et même avant : redonner confiance dans la démocratie, redonner du sens au mot “représentant” et repolitiser notre pays. Le retour massif des électrices et des électeurs vers les urnes reste le fait marquant de ces dernières législatives, mais cette totale réinterprétation et ce détournement du résultat au profit d’une seule vision du monde, celle du monde libéral prêt à tout pour ne rien changer, est ressenti comme un hold-up. Beaucoup se demandent : “de nouveau ! mais finalement cela sert à quoi de voter si le résultat n’est pas respecté ?”. Une écrasante majorité a dit ne plus vouloir de la politique macroniste, mais une tout aussi écrasante majorité a aussi dit ne pas vouloir du Rassemblement National et cela contre toute attente. Au final, on a un premier ministre issu des rangs Républicains, qui ne pèse que 8% des sièges de l’assemblée, avec la bienveillance et plus du Rassemblement National.

En tant que député réélu sur l’espoir de changement, le coup au moral est sévère. Et la petite musique entonnée au mépris du réel selon laquelle ce serait la faute de la gauche le rend encore plus écoeurant. Aux oubliettes, Macron qui a fait de la retraite à 64 ans un totem intouchable. Ignoré, le scénario par lequel il aurait demandé à ses troupes de ne pas censurer Lucie Castets. Oublié, l’appel de celle-ci dès juillet à “construire des compromis” (2) . On sait désormais que l’option Cazeneuve n’a jamais été crédible, ne consistant qu’en une opération de déstabilisation du Nouveau Front Populaire, et que la nomination de Barnier serpentait dans les couloirs de l’Elysée depuis le début de l’été. Il n’a jamais été question de personne mais bien de ligne politique. Mais voilà : le récit l’emporte sur le réel, et les petits arrangements sur le scrutin populaire.

Comment ne pas constater une impasse démocratique ?

Après les manifestations massives contre la réforme des retraites, soutenues par une intersyndicale inédite, Emmanuel Macron n’a pas bougé d’un iota. Après un scrutin au taux de participation historique, le même mépris présidentiel pour l’avis des Français. Que dire aux électeurs qui ne comprennent pas, et à raison, cette situation ? Qui demandent ce que l’on peut faire puisque ni voter, ni manifester, ni pétitionner, ne font bouger les choses ?

Après avoir accusé le coup – et ceux qui me connaissent savent ma nature enthousiaste ! -, nous n’avons d’autre choix que de reprendre notre bâton de pèlerin. Continuer à allier “le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté”, comme l’écrivait Gramsci. L’indécence de la situation donne même du grain à moudre : elle ne peut que signer la crise d’un pouvoir finissant, recroquevillé sur lui-même tel une étoile morte qui continue à briller.

C’est ce que je dis aux habitants de Tours que je rencontre ces derniers jours : il y a des batailles à gagner, et nous allons les mener avec la même énergie qui s’est déployée pendant la campagne. On me dit que Michel Barnier serait le plus sensible à l’écologie (à droite). Nos mémoires de tourangeaux peuvent lui reconnaître, certes, d’avoir lancé le Plan Loire Grandeur Nature en 1994 après des années de lutte écologiste, garantissant un avenir plus sauvage et respectueux à notre fleuve. Mais c’était il y a… 30 ans et le bilan s’arrête vite à cela tant son approche libérale de l’environnement est en contradiction avec les alertes multiples des scientifiques qui forgent nos convictions. Encore récemment, on prédit que l’Espagne ne sera qu’une steppe voire un désert d’ici à 2050 (3) !  Peut-il être à la hauteur de ces enjeux dans une telle configuration politique quand il sera à la merci du RN qui n’aura qu’à appuyer sur le bouton stop ou encore… Et le RN en matière d’écologie, c’est le climato-scepticisme ou  la négation des dommages faits à la biodiversité, c’est le refus de tout changement de modèle économique (aussi). 

Pourtant, je compte bien aller chercher le futur gouvernement sur les sujets notamment de l’écologie ou sur celui de la réindustrialisation. J’entends bien tout faire pour bloquer les idées xénophobes et rétrogrades d’un Rassemblement national qui a déjà les faveurs et l’attention du premier ministre. Et je serai aux premiers rangs pour la discussion sur le budget, qui s’annonce tempétueuse tant Michel Barnier a été nommé pour liquider notre modèle social. Notre force numéraire à l’Assemblée nationale est un atout considérable et nous pouvons obtenir des avancées, voter des textes et faire plier le gouvernement. 

Le Nouveau Front Populaire ne s’épuise pas dans la conquête de Matignon, et c’est heureux ! Ce que nous avons bâti est infiniment plus fort, et peut-être est-il temps de le structurer pour le consolider et le faire grandir davantage, d’autant que la situation politique est loin d’être figée. A l’Assemblée et dans le pays, nous représentons le changement face aux accords déshonorants de la macronie, de LR et du Rassemblement national. Structurer le NFP au-delà des échanges (plutôt efficaces) actuels entre responsables partidaires, est une condition pour réussir. A tous les étages, ce NFP doit représenter ce qu’il a été pendant la campagne : une convergence au-delà des partis avec les ONG, les syndicats et les citoyens, et surtout un formidable espoir pour l’avenir. Notre projet doit encore s’enrichir et s’affiner pour avoir toute la crédibilité nécessaire. C’est aussi cela le travail qui nous attend et qui m’attend. 

Pied à pied, toujours ensemble, menons la bataille pour changer la vie des gens !

(1) https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-de-michel-barnier/info-franceinfo-nouveau-gouvernement-michel-barnier-reflechit-au-retour-d-un-ministere-de-l-immigration_6772024.html

(2) https://www.latribune.fr/economie/politique/je-ferai-des-compromis-sauf-avec-le-rn-lucie-castets-candidate-de-la-gauche-au-poste-de-premiere-ministre-1003236.html

 (3) https://www.lindependant.fr/2024/09/09/fini-le-climat-mediterraneen-lespagne-va-devenir-une-steppe-voire-un-desert-dici-2050-les-scientifiques-donnent-lalerte-12186617.php#:~:text=Fini%20le%20climat%20m%C3%A9diterran%C3%A9en%20%3A%20l,l’alerte%20%2D%20lindependant.fr